J'étais de bonne humeur aujourd'hui. Le temps était clément, la chaleur était au rendez vous malgré l'hiver, et j'avais quelques heures de repos. Et puis, il fallait avouer, il m'en fallait beaucoup pour ne pas être heureux. Être a Kirin faisait ma joie quotidienne. Et rien d'autre ne pouvais autant me contenter. J'avais tant travaillé et tant galéré pour obtenir cette place, que pour rien au monde je ne la laisserais. A qui que ce soit.

J'avais l'intention de me rendre à la salle de danse de l'académie. Ces derniers temps, trop occupé dans le théâtre, j'avais quelque peu négligé cette si belle discipline. Les miroirs de la grande salle au parquet brillant me manquaient déjà, et je mourrais d'envie de me mouvoir. De pouvoir laisser mon corps s'exprimer. De laisser libre cours à l'imagination de mes membres. D'être moi, en réalité. Entièrement moi, jusqu'à la pointe de mes pieds. J'enfilais une veste, et sortais de mon appartement, déjà impatient. Le sourire collé aux lèvres tout le long de mon trajet, je trépignais d'impatience. J'avais pensé à apporter ma pilule avec moi, et je l'avalais discrètement, tandis que j'arrivais aux environs de l'école. Je saluais quelques amis qui s'en allaient en cours, et je continuais ma route.

Près des casiers, je m'arrêtais près d'une deuxième année et la hélais. « Bonjour! Je suis désolé de te déranger, mais saurais-tu où est Mi Sun ? » Elle me toisa un quart de seconde, durant lequel je rougissais et tordais nerveusement mes mains. Je n'avais jamais été très doué avec les filles, et mes petites amies m'avaient toujours découvert dans une situation particulière... ou sur un malentendu. Elle me sourit cependant, et répondit avec un sourire: « Je crois qu'elle est dans la salle de danse. » Je la remerciais d'un sourire incertains et m'en allait, mon cœur ratant un battement. Je comptais passer lui faire un coucou, mais il semblait que nous allions être réunis plus tôt. Plus pressé encore, je filais vers la salle au petit trot, un sourire béat aux lèvres.

A mon approche, la musique commençait à monter à mes tympans. Je m'arrêtais devant la porte, écoutant un instant, et penchant un tête curieuse par l'entrebâillement de la porte. J'avais toujours aimé écouter ou regarder Mi Sun. Elle avait une si jolie voix, et ses mouvements étaient très fluides, presque parfaits. Oui, d'accord, on dirait une groupie, mais mon intérêt est purement professionnel... Oui, bon, c'est ce dont j'essayais de me persuader. Mais j'ai aucune chance de toute façon. Mais il est vrai que j'aurais aimé partager la scène en sa compagnie. Juste une chorégraphie, ou une partie du spectacle m'auraient suffit.

Soudain, je la vis trébucher et gémir de douleur. Je me précipitais avant qu'elle ne tombe et bloquais sa chute en passant mes mains sous ses bras avec douceur. Je regardais son reflet, et je lui souriais d'un air parfaitement ravi. « Bonjour Mi Sun ! Tu devrais te ménager un peu, tu sais. » Je restais quelques instants ainsi, immobile, puis me rendant compte de notre position, je la relâchais vivement avant que le rouge n'envahisse mes joues, et je me grattais la tête d'un air un peu gêné. « Je me rendais à la salle de danse quand j'ai appris que tu y étais. Alors je suis venu prendre des nouvelles. » Nouveau sourire. Je me place à ses côtés et entame un mouvement. Celui qu'elle avait tenté d'exécuter quelques instants plus tôt. « C'est ce mouvement que tu as exécuté, non ? » Puis me rendant compte de mes paroles, je me dépêchais de rajouter, avec une fausse assurance: « J'étais pas là depuis si longtemps. Je suis arrivé juste à ce moment là. » Bien joué Hyun Ki. Elle allait me prendre pour un obsessionnel. Ou pour un dangereux stalker. Ou pire encore. Je rigolais, détendu tout à coup.

« Je pense que tu devrais moins arquer le genoux. C'est ça qui te fais mal. » J'avais deviné son problème immédiatement. Sûrement parce que j'étais habitué aux pathologies, quelles qu'elles soient. Lors de mes séjours à l'hôpital, je croisais toutes les sortes de maladies, d'accidents, de malformations. Et j'avais maintenant un coup d'oeil à toute épreuve. J'aurais sûrement préféré de pas avoir ce fameux coup d'oeil.

Elle se mit à rougir. Pourquoi rougissait-elle? C'était à n'y rien comprendre. Est-ce que ma proximité pouvait la troubler ? Non, impossible. Je suis juste un bon ami, rien de plus. Pourtant, son air totalement stupéfait semblait tellement sincère. Ah non, je dois arrêter de me faire des films, je sais que la chute n'en ai que plus douloureuse ensuite !

Sa gêne perdurait lorsque je tentais de l'aider dans ses mouvements. « C'est ce mouvement que tu as exécuté, non ? » « Euh... » « J'étais pas là depuis si longtemps. Je suis arrivé juste à ce moment là. » Elle me jeta un regard accusateur. Je n'avais jamais su mentir, de toute manière. Je lui jetais à mon tour un regard, piteux pour ma part. « Tu es un piètre menteur, tu sais? » « Je sais... je n'ai jamais su dire que la vérité. » Je rigolais, gêné, les yeux fixés sur mes pieds. Heureusement, j'avais de quoi détourner la conversation, et je m'empressais de changer de sujet: J'exécutais le fameux mouvement, et me retournais vers Mi Sun, tentant de cacher du mieux que je pouvais ma gêne. Lorsque je lui faisais part de mes observations, elle rougit à nouveau. Pourquoi était-elle si mignonne lorsqu'elle rougissait ? NON, STOP HYUN KI ! Tu ne dois penser à de telles choses, c'est Mi Sun ! Je secouais la tête et mes cheveux volaient dans tous les sens. Il faudrait que je pense à les couper, à l'occasion. Est-ce qu'elle préférait les cheveux courts, ou les cheveux longs ? Ah, c'est pas vrai !

« Je ne vois pas du tout de quoi tu parle... » Je rigolais discrètement, faisant comme s'il n'y avait pas de problème. J'ignorais encore de quoi il en retournait, mais ce qui était certains, c'est qu'elle n'aurait pas du pratiquer. D'ailleurs, à voir ses joues rouges, je n'étais pas censé la surprendre dans son entrainement. Je répondais timidement à son sourire, tandis qu'elle entamait une autre chorégraphie. Juste avant de tomber sur les fesses. La bouche ouverte de stupéfaction, je me précipitais vers elle – même avec trop de précipitation – et je demandais, affolé: « Ça va Mi Sun ? » « Je suis vraiment nulle. » Je souriais soulagé et répondais avec empressement « Non, bien sûr que non. Tu es juste maladroite. » Je l'aidais à se relever avec toute la douceur dont j'étais capable, et je souriais. Oui, j'avais souvent le sourire scotché aux lèvres en sa présence. Ça en devenait presque ridicule.

Un air soudainement très concentré sur le visage, j'attrapais sa main, et je la faisais tourner lentement en prenant soin de ne pas solliciter sa jambe. Il ne me restait plus qu'à ne pas rougir. Je me rendais compte qu'elle avait de toutes petites mains, qui disparaissaient entre les miennes. Je lui faisais faire quelques mouvements, extrêmement concentré et le visage totalement fermé, tachant de ne pas être trop près d'elle, mais de ne pas trop paraître soucieux de ne pas la frôler. Que tout ceci était compliqué, pourquoi pensais-je à tant de choses en même temps ? Entre deux pas, j'enchainais: « Mi Sun... qu'est-ce que tu as fait à ta jambe ?» Les sourcils froncés désormais, j'arrêtais notre danse improvisée et retournais Mi Sun face à moi, très sérieux, bloquant ses mains entre les miennes. Je ne voulais pas qu'elle se dérobe. « Je ne dirais rien, je te le promets, Dongsaeng. Mais de toute façon, je finirais par le découvrir. J'ai une certaine habileté à découvrir les problèmes de santé des gens.» Je voulais rigoler, mais une quinte de toux souleva ma poitrine. Je lâchais les poignets de Mi Sun et posais ma main devant ma bouche, tentant de réprimer cet accès de maladie. Dos à elle, j'essuyais rapidement le léger filet de sang qui avait coulé de ma bouche, et essuyais ma manche contre mon jogging, heureux de ne pas être venu vêtu d'un habit précieux. Pourquoi fallait-il que tout cela arrive maintenant ? Je souriais rapidement, invitant Mi Sun à se confier malgré ce léger contretemps. « Ce n'est rien, ne t'inquiète pas. Je crois que j'ai attrapé froid en venant.» Je la rassurais d'un énième sourire. Même moi, ces quelques toux ne m'inquiétaient plus. J'y était habitué, et puis, je n'étais pas si mal lotie, si on y réfléchissait bien. J'étais juste un garçon ordinaire qui avait eu une maladie peu ordinaire. Qu'y avait-il d'extraordinaire là-dedans ?

Cette sensation, cette impression de liberté était si étrange... danser en compagnie de Mi Sun faisait partie de la liste de mes cinq rêves. Celui ci était même en deuxième position, après celui de devenir un roi de la scène. Pouvoir partager la scène avec elle, partager quelques pas avec elle, partager quelques notes, quelques mots... toutes ces envies m'échappaient. Etait-on censé ressentir tout ça pour une amie ? Malgré toute ma bonne volonté, j'en doutais. Cependant, même malgré les pensées qui m'habitaient, je ne pouvais me départir de mon sérieux, au risque de perdre ma concentration et de rougir, ou encore de trop me rapprocher d'elle et la mettre mal à l'aise. J'avais l'impression de ne faire qu'un avec elle... mais lorsque je m'inquiétais de sa santé, elle se braqua soudain et répondit, têtue soudain: « Je ne veux pas en parler. » Je soupirais lentement, prenant une grande inspiration. « Ne m'oblige pas à t'ignorer et à te fuir pour le restant de mes jours... » Je souriais légèrement, amusé par sa brusque colère. Mais ma maladie me jouait des tours, et je dus me retourner brusquement, la main devant la bouche, secoué par une toux trop violente pour être dûe à un simple coup de froid.

« Oppa? Est-ce que ça va? » Je me retournais, un sourire rassurant aux lèvres, sans aucun mensonge cette fois. Je n'avais jamais été affaibli par ma maladie, ma différence, et je préférais de loin en faire une force, une force spéciale que les autres ne pouvaient avoir. Je n'étais pas inquiet. Et je ne voulais pas que mi Sun le soit. Il n'y avait pas de raisons qu'elle le soit. Mais l'inquiétude rongeait son joli visage. « Je peux comprendre que tu ne veuille pas en parler. Mais ne fais pas comme si tout allait bien. Ça inquiète plus que ça ne rassure...  » Tandis qu'elle rougissait violemment, je prenais ses épaules entre mes mains, et lui souriais de manière protectrice. « Le problème n'est pas que je ne veux pas t'en parler, mais qu'il n'y a pas matière à s'inquiéter. Je ne veux pas... » Dans un élan d'assurance, je soufflais: « Je ne veux pas être un objet de souci pour toi. »

Mais elle se déroba, et parti brutalement vers le fond de la salle. Elle avala une gorgée d'eau, et ramassa ses affaires. Je l'observais, effaré. Est-ce qu'elle s'en allait ? Je devais réfléchir, vite. L'empêcher de s'en aller, ainsi. Je... oui, il me fallait l'avouer, je ne pouvais définitivement pas la laisser partir, même si cette idée me semblait definitivement ridicule. Je m'interposais, plaçant mon corps devant elle. « Dongsaeng... » Je faillis lui demander de rester de but en blanc, mais je ne pouvais vraiment pas dire ça ! Je rougissais, et voilà que je cherchais mes mots. Mon dieu, que j'étais pitoyable ! A nouveau, une main nerveuse vint frictionner mon crâne. « Je te propose un marché. » Un sourire incertains sur le visage, je me raclais discrètement la gorge. « Je ne te parle plus de tout ça. Mais en échange... tu m'accordes une danse. » Cette fois ci, un sourire joyeux s'affiche sur mes lèvres, et c'est avec gaieté que je vais remettre la musique. Je laisse le son au minimum, dans une musique de fond reposante. Sur le sol, mes pas produisent ce son si stimulant du parquet vernis qui glisse sous la semelle des chaussures, et j'offre ma main avec un peu trop de cérémonie à Mi Sun, qui est toujours prête à s'en aller, son sac à la main, et le visage tourné vers la porte. Je ferme cette dernière avec trop d'empressement, et prend avec douceur les bagages des mains de Mi Sun.

« Maintenant que tu es libre... » Je ferme mes lèvres soudain, me rendant compte du double sens de mes paroles. AH, NON, C'EST PAS VRAI ! Pourquoi est-ce que je reviens toujours à ça ? A croire que je ne pouvais que penser à ça en sa présence ! Alors que... j'avais une bonne centaine de preuves que je n'étais pas grand chose à ses yeux. Tout d'abord, pourquoi ne souhaitait-elle pas se confier à moi ? Ma curiosité l'avait blessée. Et puis, ma proximité la gênait, et je doutais que ce soit une simple coïncidence. Elle ne jugeait pas nécessaire de m'envoyer des nouvelles de temps en temps – songeant surement que je n'en souhaitais pas – et maintenant, elle souhaitait partir. A croire que je l'effrayais. Mais je n'étais pas du genre à lâcher prise si facilement. Je m'étais toujours battu pour obtenir ce que je souhaitais, et Mi Sun ne ferait pas exception à la règle. Mais... que souhaitais-je vraiment, au fond ? Je l'ignorais moi même. Ma tête me disait que Mi Sun était mon ami, une petite sœur que je devais protéger. Mais mon cœur me disait tout autre chose. Alors, les sentiments ou la rationalité ? Car oui, ce que mon cœur me dictait n'avait définitivement rien de rationnel.