Il est de mauvaise humeur. Cela se lit sur son visage meurtri et renfermé. Alors qu’il franchit le seuil du bar, il n’est pas prêt à découvrir le visage angélique de la petite gamine avec qui il vit, derrière le comptoir à compter les billets qu’elle vient de ramasser. Un froncement de sourcils, puis un sourire, il en déduit qu’elle travaille là, et tant mieux, car il aura besoin de ses services pour satisfaire sa clientèle en cette après-midi ensoleillé. C’est d’ailleurs idiot. Mi Nae lui a répété dix fois qu’il vaudrait mieux déjeuner sur une terrasse d’un restaurant plutôt que de se rencontrer dans un bar miteux qui ne remplit pas l’estime de mademoiselle. Il n’a aucune convenance quand à satisfaire les désirs des dames qui l’accompagnent tantôt au restaurant, tantôt au théâtre. Ce garçon ne voit rien d’autre que son propre nombril et il ne soucie de personne, pas même de la petite Na Ra qui s’attèle à la tâche auprès des clients pour leur servir les boissons qu’ils réclament assidument. Il échappe un léger soupir. Il est assis à sa table, près de la fenêtre environnante, depuis déjà cinq minutes, assez de temps pour l’exaspérer un tant soit peu. Il n’est pas le genre de garçon qui regorge d’arrogance et froideur quand son interlocuteur se voit en proie à un retard considérable, mais voilà seulement quelques minutes qu’il s’exaspère lui-même d’avoir accepté l’invitation de la demoiselle Kim. Elle semblait y tenir, alors il a juste accepté avec un sourire mièvre.

« Une bière. Pour l’instant. »

Au fond de lui, il sait qu’il va devoir patienter plus de cinq ou dix minutes. Chez la gente féminine, il est très rare de voir l’une d’elle se présenter à l’heure indiqué, et qui plus est d’être même en avance. Si il s’agissait de Na Ra, Sun Woo était presque certain qu’elle ferait partie du quart de femmes qui savent gérer le stress et ainsi, le retard. Na Ra est ponctuel. Il le sait. Non pas qu’il l’observe depuis longtemps. Il vit juste avec elle depuis assez longtemps pour le savoir. Il la supporte depuis assez longtemps pour être délibérément narcissique quand il croise son regard pour la sixième fois de sa table. Elle l’a vu. Evidemment. Ce n’est pas comme-ci Wang Sun Woo peut passer inaperçu dans un bar aussi miteux, pourtant, assez spacieux aux yeux du garçon pour approuver que la petite étudiante de Kirin décide d’y travailler à mi-temps.

« T’aurais pu prévenir que tu bossais ici, j’aurais pris un autre coin. »

Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres quand elle pose la bière commandée, sur le rebord de la table. Elle échappe un sourire brièvement avant de lui tourner le dos et de partir. Elle le fuit, bien évidemment. Qui ne fuirait pas le pathétique Wang Sun Woo qui semblerait-il soit sur le point de se prendre un lapin par une riche étudiante de l’université de Séoul ? Elle est brune. Elle est grande. Elle est mince. Ses yeux sont redessinés par un trait d’eye-liner et ses courbes par de parfaits vêtements visiblement chers. Ce ne fut que quand elle franchit le seuil de la porte qu’il balançait sa bière derrière lui. La bouteille s’écrase sur la table derrière lui, il jette un regard à la gamine, elle reste perplexe, et son sourire redouble. Sale crétin. Pauvre garnement à la noix. Si il savait à quel point, il n’était qu’un puéril gamin, il n’aurait pas provoqué les gens qui l’entouraient. Pourtant, personne ne fait rien et la jeune femme du nom de Mi Nae s’installe face à lui, le sourire aux lèvres. Elle semble triomphante, elle échappe un léger rire, passe sa main dans ses cheveux et croise les jambes.

« Pardonne-moi du léger retard. »
« Occupée, ne ? »
« Tu n’imagines dont pas à quel point. »
« Mhm… Si… Champagne ? »

Elle acquiesce et il claque des doigts pour appeler la serveuse. La douce et élégante serveuse. Son regard la scrute de haut en bas, mieux encore que la précédente fois quand elle lui a apporté la bière laissé en plan au fond de la pièce, gisant sur le sol marbré. Il connait cette fille comme sa poche. Ses courbes. Ses sourires. Ses expressions. Et là, quand son regard croise celui de Na Ra, le regard de poisson mort qu’elle arbore, le fait étrangement rire, nerveusement.

« Champagne, mon ange. »

Il glisse sa main sur la table pour qu’elle rejoigne celle de la jeune Mi Nae sous le regard presque ahuri, à son avis, de la gamine. Il lui lance un regard moqueur et repose son attention sur sa « cliente ». Il parait que son frère a un sérieux potentiel avec la chanson, c’est pour cette raison qu’il s’est rendu en ses lieux pour discuter affaire avec mademoiselle. Mi Nae ayant la majorité et la responsabilité de son frère de dix-sept ans, elle est en droit de refuser, et il est en droit de la séduire en exposant ses arguments pour la Sunshine Agency.

« A nous. Comment va Jun Ho ? »

C'est au moins le quatrième job de serveuse que j'ai. Je vous laisse deviner à cause de qui j'ai perdu les trois précédents. Allez, je vous aide un peu. Ça commence par « sun » et ça finit par « woo ». Et c'est synonyme de « crétinerie profonde ». Ouais, Sunny, en plein dans le mille. Ce cher Sunny avec ses beaux cheveux à la « l'oréal parce que je le vaut bien », avec sa libido de super champion et avec son arrogance à toute épreuve. A ce point de la conversation, vous ne pouvez pas vous tromper: il n'y en a qu'un comme lui; et croyez moi, c'est mieux comme ça.

J'avais désespérément besoin d'argent, pour payer la Kirin. Parce que ma chère mère adorée n'était pas au courant du fait que j'étudiais dans une école de « saltimbanques » et que si elle le savait, je serais plus là pour vous en parler. Artiste, c'est pas beau, c'est caca, c'est beurk. Sauf que c'est ce que je veux faire de ma vie. J'ai découvert ma vocation tardivement – c'était pas un rêve de gosse, de fouler les planches et d'offrir quelques bribes d'émotions aux gens – mais ça n'a pas été moins fort pour autant; J'ai de suite su que j'étais faite pour ça. J'ai un don pour faire sourire, pleurer, rire. Je saurais pas vous l'expliquer. Je voix le personnage, je le sonde, je le scanne, et je deviens lui. Je ne simule pas; j'entre en lui et j'en deviens l'incarnation. Il fallait que je pense à ça pour avoir la motivation de travailler à temps partiels, parce que la fatigue s'accumule souvent; pour preuve, les cul de bouteille que je porte les trois quarts du temps sur le nez, pour compenser ma vue affaiblie par les heures de travail dans le noir presque total. Il fallut aussi que je me représente ma paye du soir pour résister à l'envie de hurler lorsque je le vis entrer dans le bar. Il a le chic de toujours venir à ou il ne faut pas – c'est à dire là ou je suis. A croire qu'il me stalke. Ça m'étonnerais pas de lui.

Il fut me voir à l'instant même ou je le voyais, et aussitôt, je tournais les talons en m'affairant à une autre commande. Plus loin de lui je me tiens, mieux je me porte. Je n'avais aucune envie de perdre une nouvelle fois mon boulot à cause de ses actes stupides et puériles, qui – il faut être honnête – ont le don d'être efficace: je sors de mes gonds, et résultat: je suis virée. C'est clair, net, concis. Stratégie infaillible qu'il utilise à chaque fois et qui a déjà fait ses preuves à de nombreuses reprises. Cependant, je fus bien forcée de m'avancer vers lui lorsque j'eus terminé mon boulot. Je prenais un air pincé – directement inspiré de ma mère, merci Maman chérie. Il commanda une bière, et je tournais les talons pour préparer ça. J'hésitais à verser du poison dans sa bière – juste quelques gouttes... ce serait rapide et indolore. Mais je me dit qu'il ne méritait pas que je parte en prison. Alors je lui servais une bonne vieille bière.

« T’aurais pu prévenir que tu bossais ici, j’aurais pris un autre coin. »
« T'aurais pu prévenir que tu venais ici, j'aurais pris un autre job. »

Je parlais à voix basse, histoire d'éviter que mon patron, pas très loin, ne m'entendes. Mais la colère dut me donner des ailes car il darda sur moi un regard qui signifiait clairement « qu'est-cequetuasdit èé ». Alors je fusillais Sunny du regard et repartais en sens inverse avec la ferme intention de l'ignorer jusqu'à son départ. Tu ne m'auras pas, fils de satan !

Et puis il balança son verre. Dans un mouvement de peur extrême, je regardais le récipient tourner sur lui même, et tomber sur le sol dans un bruit strident qui me fit grincer des dents. Je regardai Sun Woo. Il me regarda. Je le regardai. « Toi, j'vais te faire la peau. » J'le pense tellement fort qu'il l'a forcément entendu. Mais son rendez vous arrive – je savais qu'il ne serait pas seul, il n'est JAMAIS seul ! Et je suis forcée d'aller ramasser sa merde en grommelant comme une vieille commère. J'le déteste. J'le hais. J'vais le tuer.

Il claqua des doigts. Je me relevais, ma serpillière à la main, le chignon un peu défait par tant de colère; Je vous jure qu'en cet instant, je ne rêvais que d'une chose. L'étriper, le déchiqueter, le découper en morceau, et l'envoyer par colissimo jusqu'au Groenland. Contrôle toi, Na Ra. Pense à Rondoudou. Oui, c'est ça, pense à ton jeu pokémon qui t'attend sagement dans ta chambre. Rondoudou, Pikachu, pensées positives...

« Champagne, mon ange. »

Rondoudou... rondoudou... RONDOUDOU. Concentration. J'étais en mode monopensée. Juste histoire de pas penser à lui. Et de pas faire un esclandre en plein milieu du bar. J'en étais parfaitement capable. D'ailleurs... D'ailleurs. Oui j'en suis capable. Et il n'y a pas de raison que je me laisse faire par ce crétin de Sun Woo. Il va voir ce qu'il va voir. Gnahaha. J'allais chercher une bouteille de champagne fraîche, un air parfaitement calme sur mon visage, et une fois de nouveau à leur table – sa main était passée sous cette dernière, par dessus celle de la jeune femme... goujat – j'ouvrais la bouteille. J'adressais un grand sourire plein d'innocence à Sun Woo, puis levais la bouteille. Sur sa tête. Pourquoi utiliser des verres quand on peut servir directement le client ?

Le liquide se déversa sur son crâne, ruisselant sur ses beaux cheveux lissés et sur ses traits outrés. Jusqu'à l'ultime goutte. Je secouais pour être sûre qu'il ne restait plus rien. Dommage pour ton beau costume, mon chou. Puis je prenais un air parfaitement désolé – je fais pas du théâtre pour rien; mesdames et messieurs, le spectacle ne fait que commencer ! - et m'empressais d'aller chercher un torchon - j'avais essuyé la vaisselle avec, je vous laisse imaginer la crasse, et je lui balançais sur le crâne, en ébouriffant avec application ses cheveux.

« Je suis vraiment navrée ! Comment ai-je pu être aussi sotte ? » Puis je me penchais à son oreille et, perdant toute ingénuité: « C'est ta connerie qui a dû me contaminer. »

Je me tournais vers la demoiselle; J'étais sincèrement désolée pour elle. Je venais de ruiner son rendez vous, et je lui avais un peu foutu la honte. Mais dans le fond, je lui rendais une fière chandelle. Au mieux, elle aurait passé une nuit avec Sun Woo avant de se faire jeter comme un déchet encombrant. Je lui souriais, sincère.

« Je suis désolée. »

Puis je jetais un regard équivoque à Sun Woo avant de partir vers les vestiaires. Il ne me restait plus qu'à me changer et à ranger mes affaires. Je savais déjà ce que le propriétaire allait me dire.

Il aurait dû se douter qu’elle agirait de la sorte avec lui, au moment où il a décidé de jouer aux cons. Mais quand la guerre est déclarée, Wang Sun Woo ne perd jamais la main pour la gagner. C’est pourquoi il s’est levé calmement, souriant au patron de la gamine arroseuse de champagne et poursuivit sa marche jusqu’aux vestiaires où elle s’était terrée. Une moue légère et fastidieux se dessine sur son visage de marbre et son regard noir, presque lasse des enfantillages qu’elle provoque, la fixe, là, à quelques mètres de lui. Il lâche de ses doigts fins la poignée de la porte qui se referme dans un léger fracas derrière lui. Peut-être n’es-ce pas la première fois qu’elle décide d’agir de la sorte en sa compagnie. A vrai dire, Jung Na Ra a déjà plus d’une fois tenter de nuire à la « réputation » de Sun Woo en se pointant dans sa chambre pour une quelconque raison non valable. Plus d’une fois il s’est mis à courir après elle en quête de vengeance, mais faut-il avouer que la demoiselle, endurante, réussissait tout le temps à échapper à ses doigts imposants. Il rit, doucement, puis d’une voix plus rauque. Il est frustré. Il est presque en colère contre elle. Mais le jeu qu’elle a décidé de lancer ne fait que commencer et Sun Woo s’avance vers elle d’un pas lent et mesuré.

« Je pensais que ton comportement était irréprochable quand tu travaillais, m’enfin, je crois que je me trompais largement sur ce point-là.. ne ? »

Il songe à la laisser tranquille et laisser passer le jeu pendant quelques instants. Sans résultat concret. Il est hargneux à présent, et il ne faut surement pas compter sur un miracle pour qu’il lui sourie autrement qu’avec ce regard prédateur et enjôleur dont il use sans grand résultat avec la petite Na Ra devant lui. Il a bien essayé « d’apprivoiser » cet enfant perdu, mais le bon nombre de tentative s’avère irrémédiablement finir en échec total. Il prétextait alors par la suite qu’il jouait simplement, qu’il ne pensait qu’à son propre plaisir, ses propres envies, que n’importe qui ferait l’affaire. Mais peut-être qu’au fond, Jung Na Ra l’intéresse particulièrement – sa stature et son comportement, sa hargne et son caractère, il les idolâtrerait presque si il n’était pas simplement le fils du mari de la mère de la jeune femme. Une main posé sur le rebord du lavabo qui orne le coin de la pièce, il scrute l’endroit de son regard perçant et découvre ainsi plusieurs casiers, et ainsi la jeune femme, qui s’attèle déjà à rassembler ses vêtements et son sac.

« Te bile pas Nana, t’seras pas virer pour ça, si j’interviens. »

Il clapote ses doigts sur le rebord du lavabo et desserre le robinet d’eau froide qu’il laisse couler un instant, perdu dans sa contemplation d’une Na Ra énervée. L’aisance avec laquelle il persévérait, se lisait sur son visage. Son regard des plus charmeurs montrait carrément le cran qu’il avait à rendre folle les jeunes femmes qui l’entouraient. Na Ra en faisait partie, mais depuis déjà longtemps il n’était plus question d’avoir le culot ou pas d’agir de la sorte avec elle. Sun Woo était incapable de jouer avec elle. Il était le chat et elle la souris, et elle semblait plus rusée et plus intelligente que lui à ce jeu-là. Un frisson parcourt son échine quand il découvre avec horreur ses pensées subtilement centrés sur cette petite personne, encore, et toujours. Voilà déjà dix jours qu’il lui arrive d’avoir une simple pensée d’elle, une simple envie de l’embêter, de la « voir ». S’en est absurde, mais parfois, il se demanderait presque si il ne prenait pas totalement un malin plaisir à la rendre folle de rage contre lui et ses agissements puérils. Mais Sun Woo aime jouer, tout simplement. Et Na Ra, en étant la fille de la nouvelle femme de son père, était devenue en quelque sorte un nouveau jouet, inconnu à ses yeux, et pourtant incroyablement difficile à maintenir dans l’arène. Il détestait perdre face à Na Ra, et pourtant…

« Et si j’interviens, ça voudrait dire que tu aurais perdu la bataille. N’es-ce pas ? Quel est donc le prochain round, Nana ? Que je sache d’avance si mes jours sont comptés, ou si… au contraire, je vais avoir le plaisir de gouter à autre chose que…Bref. Je t’écoute. »

Le bluff, c’pas son genre.

Je me précipitai vers les vestiaires. J'avais pas envie de voir la mine furieuse de mon patron – de toute façon ils ont tous la même tête: ils se prennent pour le bon dieu moralisateur, pour finalement vous virer avec un grand sourire en vous invitant à repasser. C'est ça, pour me payer un bon café ? Va te faire voir, vieux ronchon. Bref, j'étais dans les vestiaires, et je m'apprêtais à retirer mes vêtements lorsque la porte se rouvrit; je stoppais immédiatement mon mouvement et observais Sun Woo avait un air parfaitement furieux – si un regard pouvait tuer... Déjà, il me traite comme une merde et maintenant il s'incruste dans les vestiaires ? Ma parole, il veut finir en charpie avant la fin de la journée ! Je remettais aussitôt en place sur mon ventre le tee shirt que j'avais légèrement soulevé et me plaçais main sur les hanches face à lui, prête à en découdre. J'attendais au minimum des excuses, quand je me rappelais que je lui ai balancé à la figure un litre cinq de champagnes. Il avait l'air un minimum appétissant grâce à moi, maintenant. Mais ce n'était pas des excuses, qu'il venait prononcer. Il venait me provoquer, une nouvelle fois. Je retournais à mes affaires, cherchant un gourdin, ou quelque chose y ressemblant dans mon large sac de toile. Un bon coup sur le crâne, ça ne peut pas faire de mal, n'est-ce pas ?

« Je n'ai ce comportement là que quand tu es présent. Tu m'exaspères, Sun Woo. »

J'essayais de paraître civilisée et calme. Soyons clairs: je ne suis ni l'un, ni l'autre. Mais à vingt ans, il faut savoir se montrer raisonnable et régler les conflits par la discussion et le dialogue – dixit la fille qui vient d'asperger son frère adoptif. Des fois, je me disais que je ne serais jamais adulte. J'avais la maturité d'une asperge et la tenue d'un phacochère. Le rire qu'il laissa échapper ne faisait que confirmer cette théorie: je bouillonnais; pour peu que je lève la tête, j'étais sure de voir un filet de fumée s'échapper de mon crâne sous tension. Il se rapprochait, et posait une main sur le lavabo derrière moi.

« Te bile pas Nana, t’seras pas virée pour ça, si j’interviens. »

Je me retournais avec vivacité, percutée par un éclair de lucidité; les yeux écarquillés par la surprise, je le regardais de haut en bas. Il n'allait pas bien. Il n'était jamais gentil avec moi. Ok, il m'avait emmenée sur la photo du mariage. Ok, il essayait de me faire une carrière. Ok, il m'avait acheté une peluche rondoudou pour mon anniversaire, mais ça ne comptait pas, pas vrai ? J'étais persuadée qu'il faisait ça pour acheter la paix dans l'appartement. J'te paye des cadeaux, et en échange tu me laisses tranquille. C'était ça, le deal, non ? Pourtant je savais que je me leurrais totalement; Mais j'avais besoin de me persuader que Sun Woo était un gros con sans cœur. Sinon je pouvais pas vraiment le détester pour tout ce qu'il faisait au quotidien: me pourrir la vie, me pousser au jeu du « cap » ou « pas cap », me menacer de tout révéler à ma mère. J'avais pas envie de pardonner à quelqu'un qui prenait un malin plaisir à me torturer chaque jour que Dieu faisait. Je continuais donc à ranger mes affaires, en prenant grand soin d'éviter son regard. J'ai honte de lui et de moi. Et soyons clairs: je déteste avoir honte. J'ai suffisamment eu honte d'être seulement ce que j'étais pendant toute mon enfance pour me permettre une cure de désintoxication pendant le reste de ma vie.

Mais ses propos suivants... je manquais de m'étouffer avec ma propre salive. « Autre chose » ? Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Je lui adressais mon regard soupçonneux. Me voir nue, me peloter, m''embrasser ? Ça pouvait qu'être un truc du genre avec Sun Woo. Bien qu'il ne m'avait jamais – absolument JAMAIS – touchée, je connaissais son pêcher mortel: la luxure. Sunny aime les femmes, il aime le plaisir charnel. Et c'est peut-être sa meilleure qualité. Je me tournais vers lui, regard de poisson mort oblige.

« Tu m'écoutes ? Parfait. Alors tu vas bien enregistrer ce que je vais te dire. Fous moi la paix. Disparais de ma vie. J'ai que des soucis dès que t'es là. J'me fais virer, j'me surprend à emballer des mecs que je connais même pas; tout ça pour quoi ? Parce que monsieur a trouvé marrant de mettre en jeu l'avenir d'une étudiante. Tu veux tout révéler à Omma ? Parfait. Appelle là. Dis lui tout. » Je fermais mon casier d'une main – le battant se ferma, puis rebondit sur le fer dans un bruit sourd. « Et n'imagine même pas que je vais te laisser faire quoi que ce soit. Plutôt mourir que de te devoir quelque chose, c'est compris ? »

Finalement, je prenais mes affaires, et partais dans une toilette; j'avais bien l'intention de me changer, mais pas devant lui. J'avais réussi à conserver ma pudeur malgré nos années de vie commune et sa fâcheuse tendance à zieuter là où il ne fallait pas. Je m'enfermais à double tour.

« Et tu sais quoi ? Tu devrais te balancer plus souvent du champagne sur le crâne. Ça te rendrais presque désirable. »

De un, ne pas être désirable aux yeux d’une femme, cela semble irrémédiablement inapproprié. Surtout aux yeux de Sun Woo. Si vous saviez à quel point il semble obnubilé par son apparence, plus qu’à ce qu’il ressent pour une femme. Il passe peut-être dix minutes à préparer son sourire enjôleur dans le miroir, chaque matin, et dix minutes de plus, pour trouver la tenue approprié à son humeur du jour. Généralement, il se munit souvent d’un costume plutôt classieux, plutôt bourgeois, plutôt « lui ». Il se rend par la suite dans les ruelles bondées du matin pour se rendre à la Sunshine Agency, sous les regards divinement admiratifs des plus belles femmes de la capitale. On dit que Wang Sun Woo est un gosse de riche qui n’a pas froid aux yeux, mais ne vous méprenez pas, il ne s’agit que d’une rumeur plutôt réelle et active aujourd’hui. Car, le gamin, il se payerait une belle voiture juste pour attirer une femme dans son lit, un soir, et rien de plus. Il se payerait une villa pour faire des soirées entre amis et avoir des tonnes de femmes dans son lit. Sun Woo marche comme cela, depuis toujours. Enfin de compte, il s’agit d’un gène familial, puisque Papa Wang avait l’habitude de faire exactement la même chose que lui quand il avait à peine vingt ans, jusqu’à ce qu’il rencontre la douce mère de Sun Woo. Elle aussi était un peu ce genre de femme. Entreprenante et déterminée à acquérir ce qu’elle désirait, elle se jetait littéralement sur sa proie, chaque soir, quand il restait enfermé dans sa chambre et que les parents jouaient au chat et à la souris dans le salon avec leurs invités. Sun Woo n’a jamais compris pourquoi ils faisaient ça. Tout ce qu’il sait, c’est que cela a tué sa mère peu de temps après. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il est comme eux, malgré lui. Quand elle sortait de la cabine dans laquelle elle s’était engouffré pour se changer, il s’était rendu dans le bar et avait quitté les vestiaires, la laissant tranquille, en toute intimité. Il ne savait pas lui-même pourquoi il agissait de la sorte avec elle. Tantôt gentil, tantôt narcissique. Mais il adorait ça. Il adorait la prendre pour une folle, pour une petite gamine. Il aimait la taquiner, lui rendre la vie difficile. Il aimait son sourire… son visage… son regard… et c’était presque étrange.

« J’vous appelle dans dix jours, si vous la virez. »

Un froncement de sourcils se lit sur le visage du patron de Na Ra. Dans un mouvement, il acquiesce un sourire froid et narquois, avant de se diriger vers la table de la jeune femme qu’il avait délaissé pour poursuivre sa petite Na Ra. Pourquoi « sa » ? Elle ne lui appartient pas, pour autant qu’il sache, mais c’était une drôle de sensation qui le rendait presque possessif envers Jung Na Ra. Secouant la tête pour chasser ces pensées sordides, il s’excuse d’un regard auprès de la jeune femme et soupire avant de s’assoir comme une masse sur sa chaise, tout en surveillant l’entrée des vestiaires, la sortie directe de mademoiselle Jung, dans tous ses états, en colère contre lui. Il grimace. Il ne pensait pas qu’elle serait aussi rapide et se relève d’un bond pour la rejoindre dans sa course et la maintenir par le poignet alors qu’elle fuyait vers la porte d’entrée du restaurant/bar. Cette sensation semble très étrange et son épiderme frissonne au toucher de sa peau. Tout se stoppe autour de lui, et il semble qu’il ne voit qu’elle, que sa chevelure voletant dans l’air, que son regard transperçant et ses lèvres délicates qui se pincent de nervosité et frustration.

« Laisse-moi au moins te raccompagner à la maison, tu veux ? »

Il ne sait pas pourquoi il agit de la sorte. Vraiment. Vraiment pas. Il soupire, frustré par lui-même. Elle va forcément refuser. Elle va forcément le frapper. Pire. Lui lancer un verre d’eau dans le visage, comme-ci la bouteille de champagne n’avait pas suffi. Il grimace, ses doigts se sont resserrés sur son emprise, caressant doucement de son pouce, la peau froide et douce de Na Ra. Il n’avait pas encore eu la chance de toucher sa peau scintillante, sa peau blanche comme la neige, et douce comme du cachemire neuf. Il se mord la lèvre. Il ne sait pas pourquoi, mais il aime bien, ça aussi – en plus du fait qu’il aime la rendre folle, la taquiner et lui rendre la vie compliquée. Il aime… beaucoup trop… pour que ce soit normal. A côté, Mi Nae se lève, frustré. Ses sourcils se froncent. Elle attrape un verre d’eau et le lance en plein dans son visage. Surpris, il lâche le poignet de Na Ra mais l’attire contre lui, alors qu’ils trébuchent et se tombent nonchalamment sur le marbre de la pièce.

« Peut-être qu’en fait, tu vas me frapper et me coller dix mille gifles avant de partir. Vas-y, t’en prive pas, j’l’ai bien mérité pour le coup. Par contre, mon ange, je ne disparaitrais jamais de ta vie, parce que tu es censé être ma « demi sœur », parce que je suis censé « te protéger », parce que j’aime beaucoup trop…. »

Sa phrase laissée en suspens a le mérite de provoquer le froncement de sourcils de Na Ra sous ses yeux. Elle est encore allongée de tout son long sur son torse, alors qu’il se retient de ses coudes et tente de se relever. Il jette un regard au patron qui secoue la tête négativement. Il sait qu’il va devoir l’appeler pour arranger le coup. Il grimace quand il croise le regard perçant de Na Ra. Il ferme les yeux et s’attend à recevoir sa gifle de très près.

Ne me touche pas. Ne me parle pas. Ne me retiens pas. Ne te fais pas autant de mal. Tu sais bien que je vais devoir te repousser et te hurler dessus. Tu fais un coup de poker, une nouvelle fois, Sun Woo. Mais cette fois, tu as réussi. Je fonds, littéralement. Tu me lances un regard plein de choses que je n'avais encore jamais vu. Un regard éperdu qui se pose sur moi, qui descend le long de mes lèvres, y laisse une trainée brulante, et remonte jusqu'à ma chevelure emmêlée par mes gestes brusques. Je fond, je me liquéfie sur le sol en dessous de nos pieds. Comment peux-tu être aussi détestable, Sunny ? Comment peux-tu oser poser sur moi ces yeux qui contiennent tout ce que j'ai toujours voulu voir chez les autres, et que nul autre que toi ne m'a jamais offert? Tu n'as pas le droit. Je dois te détester, pas être dans cet état de larmoiement pitoyable. Je sens mes lèvres se pincer, comme si c'étaient celles d'une autre, et je sens mon regard se durcir. Je me sens également étrangement détachée de tout cela. Peut-être est-ce parce que j'ai terriblement envie de m'envoler de mon enveloppe charnelle pour échapper à tout ça. J'hésite encore fureur, colère, et désarroi. Entre le frapper et rester immobile, à me faire désirer de la sorte. C'est un sentiment grisant que de se sentir enviée. Il me veut. C'est certain. Et je n'ai même pas envie de me rebeller. Tu es pathétique, Na Ra.

« Laisse-moi au moins te raccompagner à la maison, tu veux ? »
« Même pas en rêve. »

J'ignore quelle conscience m'a ramenée ainsi à la réalité des choses; tout ce que je sais, c'est que cette conscience est à la fois sacrément avisée, et qu'elle est sacrément frustrante. Des fois, je me dis qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de conscience et répondre seulement à nos instinct. N'est-ce pas ce que font les animaux ? N'ont-ils pas l'air heureux ? Je voudrais être un petit oiseau, si libre et si insouciant. Mon cœur joue au coucou, dans ma poitrine: ses coups de bec envoient des étincelles dans toutes mes veines, de manière trop rapide et trop brutale. J'en aurais presque mal. J'en aurais eu mal si cette fille n'avait pas été aussi avisée que moi. Un verre d'eau – encore un – dans la figure du briseur des cœurs, et il s'effondre de surprise sur le sol. Ça aurait du clore cet échange. J'aurais profité de sa chute pour m'enfuir rapidement, un regard dédaigneux dirigé vers le jeune homme, et avec pour seul au revoir une remarque acerbe. Mais il m'entraine avec lui, et je tombe lourdement contre son torse, les yeux fermés. Lui a le réflexe immédiat de se relever à l'aide de ses coudes, mais comme une idiote je reste là. Pétrifiée. A l'état de statut humaine. Peut-être même que si je regarde mes mains, elles seront faites de marbre: je me sens bien plus lourde que d'habitude, tout à coup. J'essaie de me dégager – je dois partir, vite, je dois redevenir la Na Ra haineuse. C'est épuisant d'être surprise et de ne pas tout contrôler.

« Arrête de m'appeler 'mon ange'. » J'ai grogné, passablement énervée « Et je n'ai pas besoin que tu me protèges. J'ai pas besoin de ton amour. Et j'ai encore moins besoin que tu m'aimes. Tu m'aimes encore beaucoup trop. Détestes moi, au moins ça sera plus intéressant. »

Je me relève brusquement, et lui adresse un regard froid et glaçant. Si seulement il pouvait se geler sur place, cet imbécile. Ça m'éviterait d'être troublée, ça m'éviterait de penser à mon corps penché sur le sien, ou à ses yeux trop absorbés par le mouvement de mes lèvres. Je ne l'aime pas. J'aime la manière qu'il a de me voir, mais je ne l'aime pas. C'est un salaud de première catégorie. Oui, c'est cela. J'essaye de m'en persuader. De ne pas penser aux fois où il m'a sauvé la face, mais plutôt à toutes ces fois où il m'a mise dans la merde, ou il m'a ridiculisée, où il m'a humiliée. Lentement, une colère sourde bien totalement remplacer le semblant de compassion et d'affection que j'avais pu ressentir. Voilà qui est mieux. Je m'époussette, afin de récupérer un semblant de contenance, et je jette un regard étrange à Sun Woo.

« Cap d'aller rattraper la fille et de la supplier de revenir. Et de t'excuser. »

Jeu pervers, jeu masochiste. Je sais qu'il a un orgueil démesuré et je sais qu'il y tient. Le pousser à se rabaisser, c'est la meilleure des choses que je peux faire, et c'est le mieux pour moi, surtout. Le pousser à s'humilier lui même, voilà quelque chose d'intéressant. Je joue gros, car c'est moi la première victime de ce jeu qu'il a instauré entre nous deux. Mais je suis trop énervée, trop poussée à bout pour contenir ce qui jaillit de moi. J'ai envie de me venger, j'ai envie de lui faire payer. Lui faire payer sa gentillesse, ses attentions, ses mauvais coups, ses trahisons. De lui faire payer d'être là et de me faire fondre comme il vient de le faire. Je me déteste. Mais je le déteste encore plus.

« Arrête de m'appeler 'mon ange'. Et je n'ai pas besoin que tu me protèges. J'ai pas besoin de ton amour. Et j'ai encore moins besoin que tu m'aimes. Tu m'aimes encore beaucoup trop. Détestes moi, au moins ça sera plus intéressant. »

Il commence sérieusement à s’impatienter. Il commence sérieusement à bouillonner d’envie de partir et de la laisser en plan avec ses malheurs et ses ondes négatives. Un soupir s’échappe de ses lèvres. Il est presque lassé de l’entendre hurler, de l’entendre s’énerver, de l’entendre employer des mots contre sa personne. Il sait qu’elle le hait – mais depuis qu’ils cohabitent dans le même appartement, on ne peut pas dire qu’elle puisse le détester en vain. Non, ce serait faux et mensonger. Na Ra adore le rendre dingue et lui faire des tonnes de crasses. Na Ra adore le traiter d’énergumène, d’idiot, de crétin qui ne sait pas ranger ses propres chaussettes dans le bac à linge de la salle de bain. Il s’agit d’un tout petit détail, certes, mais quand l’on vit avec Jung Na Ra, il faut s’attendre à des crises d’hystériques localement quotidiennes. Impassible à son regard noir et ses gestes brusques, il la regarde se relever brutalement et en fait de même, suivant ainsi le mouvement de Na Ra et ne la lâchant pas d’une semelle pour autant. Na Ra est un peu comme une enfant sous sa responsabilité maintenant qu’il a accepté qu’elle vive dans son appartement sous la demande Papa Wang et Maman Jung. Ca le dérangeait particulièrement – mais es-ce incroyable d’avouer qu’il s’y est totalement fait et qu’il adorerait presque la voir en petite culotte le matin, préparer le café et réchauffant ses croissants pour elle, faisant exprès de l’oublier ?

« Mais ne t’inquiète pas, Na Ra, je te déteste bel et bien plus que tu n’as l’air d’y croire. Aish. Si ta mère est comme toi, j’me demande comment mon père vit son remariage. Moi, je sens le désastre assuré. »

Sa voix stridente rebondit sur les parois des murs du café et il s’aperçoit que toute la clientèle est tournée vers eux et que la jeune femme qu’il avait présentement invité à déjeuner en sa compagnie pour parler de son petit frère et de ses talents partait déjà de l’endroit. Il grimace. Il se mord la lèvre. Tout ça à cause de Na Ra et ses crises d’hystéries. Tout ça parce qu’il l’a provoqué. Tout ça parce que… des fourmillements jaillissent au creux de son ventre quand il l’aperçoit.

« Cap d'aller rattraper la fille et de la supplier de revenir. Et de t'excuser. »

« Cause toujours, Na Ra. Je joue plus à ce jeu. Tu m’as fait perdre une cliente importante, salle gosse. »

Son regard froid transperce la jeune femme, et malgré que ses yeux marron soient profondément ancrés dans son regard, il se fiche bien du fait que sa main tremble légèrement ou que son cœur se mette à battre étrangement. Il est en colère contre elle – bien évidemment. Un grincement de dents et il attrape le poignet de Na Ra, l’attirant à l’extérieur du bâtiment. Il part à la suite de sa « cliente », tirant Na Ra derrière lui.

« Excusez moi, Nae Mi-Ah ? *silence* Na Ra, excuse toi pour tout ce désagrément. *silence* Vraiment, je suis désolé. Ma petite sœur a vraiment beaucoup de mal à voir des femmes aussi jolies en ma compagnie, vous comprendrez que son éducation a été plus que médiocre pour qu’elle agisse de la sorte, n’es-ce pas ? J’essaye d’y remédier, mais c’est vraiment impossible avec ce « cas ». »

Il attise surement les nerfs de Na Ra en agissant comme cela. Mais inconsciemment, le deal qu’elle lui a lancé est tenu. Il s’excuse. Il l’a rattrapé. Mais il n’ose pas la supplier. Il ne peut juste pas s’abaisser à si bas. Après tout, il y en a des tonnes, des clientes, il peut en trouver une nouvelle, aisément. Mais, Sun Woo est déterminé à ridiculiser Na Ra, lui aussi. Nae Mi hoche la tête, et repart d’un pas déterminé à les semer. Se tournant vers elle, un sourire léger se dessine sur ses lèvres. Il époussette sa chemise trempé et relève son regard vers elle. Cette gamine n’apprendra jamais à user d’autres solutions pour le ridiculiser que d’utiliser du champagne moitié prix.

« On rentre maintenant. C’est un ordre. Et… et putain, Na Ra t’as ruiné ma chemise. »

« Mais ne t’inquiète pas, Na Ra, je te déteste bel et bien plus que tu n’as l’air d’y croire. Aish. Si ta mère est comme toi, j’me demande comment mon père vit son remariage. Moi, je sens le désastre assuré. »
« Ma mère n'a rien de commun avec moi. Elle est bien pire, crois moi. Et ton père a bien du souci à se faire. »

Cette fois ci, je n'avait instillé aucune méchanceté dans mes paroles, du moins pas à l'encontre de Sun Woo. J'étais agressive, rien qu'à la pensée de ma mère; Rien qu'à la pensée de ce qu'elle m'avait subir et de ce qu'elle faisait surement subir à bien d'autres personnes, encore. En songeant au fait qu'elle préférait ses tailleurs impeccables à la compagnie de sa fille, en songeant qu'en ce moment même, elle devait être en train de dépenser l'argent de monsieur Wang pour son bonheur matériel. Elle pensait depuis le début que cette histoire d'amour n'était qu'un stratagème de cette chère madame Jung pour pouvoir satisfaire ses besoins féminins qui ne cessaient de devenir plus encombrant. Avait-elle jamais ressenti un quelconque amour pour qui que ce soit ? Elle n'avait pas aimé son mari, encore moins sa fille, et son nouveau compagnon n'était pas vraiment un grand amour, même si elle savait mimer l'affection à la perfection. L'idée de tenir mes talents d'actrice de cette femme que je haïssais me donnait envie de vomir; mais l'idée de la rendre furieuse en continuant de vivre de ma passion me rendait si joyeuse que ça finissait par effacer la colère initiale. Je me comportais souvent de cette manière: un sentiment en éclipsait un autre, et pourtant, mes émotions étaient si peu ordonnées qu'elles constituaient un foutoir pas possible. Heureusement, j'arrivais à les ordonner et à toujours trouver ce qui était le plus satisfaisant, le plus énervant, le plus frustrant, pour ne me concentrer que sur cette émotion. Sinon, je n'ose imaginer le bordel émotionnel.

Sun Woo, lui, ne semblait pas apte à contrôler ses sentiments: pour preuve, la manière dont il refusa tout d'abord catégoriquement mon défi, avant de l'exécuter. Je souriais, un peu satisfaite, et pris l'air idiot qu'il m'attribuait. Un peu cruche, pas très fut-fut, que sa cliente devait se dire. Mais tant pis, c'était le prix à payer pour lui rendre la pareille. Je ne supportais pas que Sun Woo me rabaisse ainsi, alors au lieu de l'ignorer royalement, je surjouais, j'en rajoutais sans cesse, et c'était à celui qui trouverait le meilleur moyen de ridiculiser l'autre.

« Oui c'est vrai, je suis un peu jalouse, j'aimerais bien avoir mon frère pour moi toute seule. Mais évidemment il en fait qu'à sa tête. Mais si c'est vous, ça va, vous avez l'air l'intelligente, pas comme... Comment elle s'appelait déjà ? Tu sais, la blonde à forte poitrine ? J'ai pas encore compris pourquoi elle est partie aussitôt après avoir dormi chez nous. Enfin bref, c'était une cliente, comme vous, mais elle était pas très fut-fut. »

Je leur adressais à tous deux un sourire éblouissant d'innocence, comme si je n'avait aucune notion de la portée de mes paroles. Oui, Sun Woo couche avec ses clientes. Sun Woo aime les femmes. Et tu es surement sa prochaine cible ma poulette, alors si j'étais toi, je fuirais loin, très très loin avant d'avoir des ennuis. Elle s'en alla, et je tournais un regard furibond vers Sunny, me libérant de son emprise d'un mouvement énervé du bras, et commençant déjà à partir loin de lui.

« On rentre maintenant. C’est un ordre. Et… et putain, Na Ra t’as ruiné ma chemise. »
« On rentre, en effet. Mais je rentre seule. Je vais à l'école, hors de question de rentrer avec toi. » Je fronçais le nez en avisant sa chemise. « Te plains pas, ça te colle à la peau et toutes les femmes sont en train de te reluquer. Tu devrais être content. Ramène en une, tant que tu y es, tu as rien de mieux à faire de toute manière. »

Je recommençais à marcher, et il s'en alla de son côté, pour me retrouver quelques minutes plus tard. Lui en voiture, moi sur le trottoir. Il me fit un petit geste de la main... et je lui adressais un doigts d'honneur. C'est ça, Jung Na Ra: ne pas savoir contrôler sa colère, surtout avec Wang Sun Woo. Il laissa échapper un rire et je me renfrognais davantage.