J'avais une famille aimante. Un père ouvrir qui aimait lire le journal en buvant son café à l'aurore, sur la table de notre étroite cuisine, qui aimait venir déposer un baiser sur le front de ses filles avant qu'elles ne s'endorment et ébouriffer les cheveux de ses fils, et qui affectionnait les soirs d'hiver devant une source de chaleur, à faire des jeux de société avec sa femme et ses enfants. Une mère femme de ménage qui passait ses journées à trimer sans relâche, mais qui ne manquait jamais aucune des kermesses, aucun des anniversaires, aucun des noëls, aucune des remises de prix en tout genres. Elle sentait la lavande et le savon, et elle portait à son petit doigt la bague que je lui avait offerte – un bijoux de pacotille récolté dans une boite de céréale. Une petite sœur et deux petits frères, qui étaient tous trois aussi insupportables qu'adorables, qui avaient le don de me mettre hors de moi lorsqu'il ne le fallait pas, mais qui savaient comment me faire sourire et rire, avec leurs bouilles d'anges. « Avais » ? Oui, « avais ». Je n'ai plus rien de tout ça, maintenant. Tout a disparu, comme de la fumée poussée par un coup de vent. Ça a été soudain, imprévu, et au début, ça a tellement fait mal qu'il m'a semblé être totalement anesthésiée. C'était un accident de voiture, « rien de plus », ils étaient morts sur le coup. Un chauffard qui avait foncé dans la camionnette un peu branlante de mon père. Et « pouf » ! Ils étaient partis. Envolés, rayés de la surface de la terre d'un claquement de doigt, aussi simplement que ça. Et Billie Jean était seule... désespérément seule. Il me restait bien les enfants, mais ils n'étaient plus vraiment les mêmes, et moi non plus.

Il y avait encore tout d'eux, dans l'appartement miteux que nous habitions. Les photos du dernier anniversaire de mon petit frère, prise par Omma, les manteaux accrochés au porte manteau, les pantoufles d'Appa dans l'entrée, les uniques boucles d'oreille d'Omma dans cet écrin, près du téléphone... En regardant tout cela, tous ces petites breloques ridicules qui traduisaient notre extrême pauvreté... je me sentais démunie. Démunie, parce qu'après toutes ces années, la pauvreté n'avait pas réussi à entacher notre profond amour et notre attachement; et la perte soudaine de toute cette affection, de ces liens me laissait appauvrie, ne laissant derrière elle qu'une pauvreté matérielle. Je me fichais des diamants, des bijoux, tant que j'avais ma famille pour m'apporter le plus beau des trésors... Toutes ces choses, je n'avais aucune idée de ce que j'allais en faire. J'étais perdue, alors que je savais encaisser en silence, en général. Les policiers, les huissiers, me gardaient tous avec cet air navré et empli de pitié. Un regard que je ne supportais pas. Mais qu'aurais-je pu dire ? Qu'auraient-ils pu faire ? Personne ne pouvait plus rien faire de toute manière.

Je fus convoquée pour les funérailles, les d »marches judiciaires, et tout le reste. Un certain Lee Galadriel était responsable du drame, mai l'on eu la délicatesse de ne pas me le montrer. J'ignorais tout de cet homme, sa vie, son histoire, son physique, son quotidien. Mais tout ce que je savais, c'était que je voulais sa mort, plus que je n'avais jamais souhaité quelque chose.

Les enfants me gardaient à flot malgré leurs visages fermés. Tout ce que je faisais c'était pour eux/ J'ai arrêté mes études pour eux, j'ai laissé tomber le violon pour eux, je me suis mise au boulot pour eux, j'ai quitté mon école pour devenir femme de ménage à temps plein à la Kirin, à la Sunshine Agency, dans les appartements, dans les maisons... Je n'avais aucun diplôme qui m'aurait permis de postuler pour une meilleure situation. J'avais besoin d'argent, coute que coute; les nuits se faisaient de plus en plus courtes, mais ça m'était égal. De petits êtres avaient besoin de se nourrir, la bas, dans notre appartement. Leurs bouches roses étaient autant de becs qui piaillaient lorsque leur subsistance venait à manquer. Et voir leurs sourires revenir, lentement, me confortait dans mes efforts. Je devais continuer.

On a coutume de me décrire comme une jeune fille calme, posée, tranquille. Je ne prononce pas un mot plus haut que l'autre, je ne suis guère colérique et la susceptibilité n'est pas dans mes habitudes. Lzs conflits, j'ai pour habitude de les régler à l'aide de quelques mots bien placés, qui savent convaincre les autres - avoir trois frères et soeurs, ça aide à trouver les mots justes, les mots qui effacent les conflits - et je ne m'énerve que rarement. Les conflits, c'est pas mon truc, en réalité. Je déteste être gênée, je déteste ressentir de la haine.

Cependant, si je suis douce et tendre, il y a deux poids deux mesures avec moi. J'aime, ou je n'aime pas. Il n'y a jamais de juste milieu. Une fois que je suis trahie, je ne reviens pas en arrière, et une fois que je vous ai accordé ma confiance, c'est pour la vie. Je ne m'attache pas facilement, mais j'ai tendance à accorder mon affection - une affection banale, une affection de société que même les plus associals peuvent mimer - trop facilement, et ma naïveté me pousse souvent à la déception. C'est pour cela que maintenant, je suis plus méfiante que naïve, et mon pessimisme naturel reprend souvent le dessus. Je n'ai pas vraiment la foi en grand chose, d'autant plus depuis que j'ai perdu mes parents et que je suis devenue mère sans rien demander.

Mais je ne suis pas lugubre. Mes proches aimaient me décrire comme une jeune fille enthousiaste et volontaire. Le travail ne me fait pas peur, pas plus que les obstacles..