Ils étaient encore là. Ils la suivaient, la jeune fille le sentait, et elle n’osait pas se retourner. Pourquoi ? Elle n’en savait rien, peut-être juste parce qu’elle avait peur. Parce que ces rapaces lui faisaient réellement peur, il fallait l’avouer. Ils semblaient prêts à tout, même à la stalker dans des petites rues pas très remplies de monde, ou au contraire dans de grandes avenues pleines de jeunes gens qui ne remarqueraient même pas la disparition de Gae In si l’on en arrivait là… Bon, ils n’allaient pas la tuer, de toute façon ça compromettrait un peu tout et ça n’avait rien de très professionnel. Mais stalker une jeune fille juste parce qu’elle devait rembourser des dettes à la place de sa famille, était-ce plus fairplay ? Ou alors, c’était une entreprise bien louche qui les employaient, et mieux ne valait pas y penser pour la brunette.

Au début, ils y avaient été calmement. Ils lui avaient rappelé à plusieurs reprises de le faire, en avaient parlé à sa mère qui, impuissante, n’avait que pu leur dire d’aller voir sa fille. Puis, après plusieurs mois, les créanciers étaient passés au niveau supérieur. Elle ne voulait pas payer ? Eh bien, ils trouveraient un moyen de la faire payer. Que ce soit par l’intimidation, ou pire, par la force. Okay, la demoiselle se faisait peut être simplement des films, mais avouez qu’il y a de quoi. Dans le même cas, que feriez-vous ? Elle n’avait pas le temps pour trouver un petit boulot, avec ses études, et elle n’avait pas d’argent à leur passer. La situation était donc tendue et ces types louches ne voulaient rien entendre : Toutes les excuses, les tentatives de retarder le délai, celles de leur échapper ou de leur faire comprendre qu’elle n’avait pas d’argent, aucune n’aboutissait à quelque chose de positif et les créanciers étaient encore plus étouffants.

Pour en revenir à l’instant présent, la jeune Gae In était donc en train de marcher dans les rues de Seoul, ou plutôt déambulait, sans vraiment endroit précis auquel se rendre, quand elle avait entendu des bruits de pas derrière elle. En premier lieu, elle ne s’était pas particulièrement formalisée. On avait souvent cette impression, dans les grandes villes. L’impression de n’être jamais seul. Puis c’était devenu lourd, plus stressant, plus pesant pour la jeune fille. C’était clair : on la suivait. Elle ne rêvait pas, n’était pas paranoïaque. Bien vite, elle avait tenté de se retourner et, jetant des coups d’œil derrière elle par moments, elle avait commencé à accélérer le pas. Il arrivait qu’elle bouscule des gens, s’excusait platement et continuait de tracer. Quand elle le pouvait, du moins.

« Mademoiselle ? Vous êtes sûre que ça va ? »

Ce genre de questions revenait très récemment aujourd’hui. Elle assurait à la personne que oui, elle allait très bien, même si sa respiration heurtée la trahissait, elle s’excusait de nouveau pour son inattention et continuait la course poursuite avec ces rapaces. Sauf qu’elle n’allait pas tenir très longtemps. Elle était certes athlétique, mais voilà une heure qu’elle marchait le plus vite possible et stressait à mort. Il n’y avait plus que deux solutions : soit elle se mettait à courir, soit elle abandonnait. Abandonner, ça ne faisait pas partie de son vocabulaire. La brune se mit donc à courir au milieu de la rue bondée, ne se gênant pas pour pousser tout le monde. Son souffle affolé et nerveux ne tarda pas à l’abandonner, et elle dut se réfugier hors d’haleine dans une petite rue en attendant qu’ils partent. Enfin, s’ils partaient, ce qui n’était visiblement pas le cas, à en juger par le bruit de pas sur le macadam.

« Les filles aiment tes réponses évasives et ton sourire mystérieux. J’en ai entendu quelques unes s’extasier à ce sujet. Selon leurs dires, tout cela te rendrait délicieusement dangereux. J’ignore ce que cela doit signifier, mais apparemment, toi, tu le sais. Tu n’hésites jamais à en jouer. Quand on te demande ton nom, tu ne donnes jamais que ton prénom. C’est comme si ton patronyme ne pouvait pas être prononcé dans son entier. Tu n’as rien à cacher, et pourtant, tout autour de toi prend un parfum d’énigme et de secret. Mais à moi, on ne me la fait pas. Je t’ai vu l’autre jour…. Tu lui souriais et te trahissais. Aussi, dis ce que tu veux, mais moi, je sais. Là, de hors – il y a quelqu’un, quelque part, qui connaît tout de toi. »

C’est un jour de printemps. Tae Joon a onze ans, douze peut-être, et étouffe un long bâillement. Le cours l’ennuie ; il a même déjà décroché. Son attention ne demeure toutefois pas inoccupée. Il y a en effet cette fille assise à ses côtés. Comment s’appelle-t-elle déjà ? So Hee. Ye Eun. Hye Rim. Ou… ? Peu importe. Le fait est qu’elle a eu la bonne idée de diminuer d’environ une dizaine de centimètres la longueur de sa jupe d’uniforme. Aussi il lui suffit de croiser les jambes, et déjà, on entrevoit plus de peau qu’il devrait être permis d’en exhiber. Malheureusement pour le jeune garçon, le spectacle s’avère de courte durée. Quelques coups frappés à la salle de classe l’arrachent soudain à sa contemplation. Tandis que le professeur s’interrompt, tous les élèves se lèvent dans un seul et même élan. Le proviseur fait alors son entrée. Deux ou trois pas derrière lui, on peut distinguer une silhouette fuyante et incertaine, un ombre presque. A force de plisser les yeux, Tae Joon découvre une demoiselle. On la présente comme la nouvelle élève, on mentionne son nom. Gae In. Cho Gae In. Ses parents viennent de déménager et se sont installés il y a peu dans le quartier. Elle a son âge. Puis aussi : de longs cheveux noirs et raides, des yeux en amande, un sourire en coin – tout pour le fasciner.

« Hey ! Regardez un peu où vous… où vous allez… »

C’est encore un jour de printemps. Tae Jon vient de fêter ses quatorze ans. Cette fois, le cours l’a tant barbé qu’il a sagement décidé de le sécher. Le voilà donc à l’air libre, le nez levé vers le ciel ensoleillé. En théorie, les élèves n’ont pas accès au toit de l’école. Mais Gae In l’a mis au défi de braver l’interdit. C’est pourquoi, même si on risque de les trouver et de sévèrement les réprimander, ils sont là, sur le sol goudronné, riant et plaisantant comme si de rien n’était. Allongés l’un à côté de l’autre, les bras derrière la tête, ils s’amusent à regarder passer les nuages et à y reconnaître différentes formes. Mais bientôt, Tae Joon se lasse de ce jeu. Son visage se tourne vers celui de la jeune fille, et son regard détaille avec insistance toutes les expressions qui animent ses traits. Le temps semble se figer. Cette fois-là, ils finissent par échanger leur premier baiser.

« Gae… Gae In ? Yah ! Gae In-ah ! »

C’est toujours un jour de printemps. Tae Joon a désormais plus de vingt ans. Ses cours de la matinée ont été annulés, et il flâne tranquillement dans les rues bondées quand, soudain, on le bouscule. Pris au dépourvu, le jeune homme ne distingue qu’une tornade de boucles brunes et de parfum musqué – un mélange de cannelle et jasmin frais. Mais peu à peu, ses impressions se mettent en ordre et s’organisent ; le visage entraperçu lui est familier. Enfin, il le reconnaît. Il se retourne alors brusquement pour rattraper celle qui l’a renversé. Dans sa course effrénée, elle lui a cependant déjà échappé. Les sourcils froncés, Tae Joon demeure un instant interloqué et se demande s’il lui faut aller l’aider. Mais les temps ont changé ; de l’eau a coulé sous les ponts, et des regards complices qu’autrefois ils échangeaient ne subsiste plus que la froideur et l’aigreur des grimaces révulsées qu’elle lui adresse de temps à autre. Elle n’apprécierait sans doute pas qu’il décide de s’en mêler. Il s’apprête donc à tourner les talons quand il remarque ces hommes aux airs menaçants qui scrutent la foule. On dirait qu’il chercher quelque chose – quelqu’un.

« Si tu crois que ça, c’est être bien cachée, t’es dans le pétrin, très chère. »

Il la trouve aisément dans l’une des ruelles adjacentes. Sans davantage de difficulté, il se saisit de son poignet et l’entraîne à sa suite. Les courses-poursuites, ça le connaît. Sang Chul hyung avait le don de s’attirer des embrouilles. Il fallait souvent fuir la police. Tae Joon s’engage donc instinctivement dans la cage d’escalier de secours de l’un des immeubles. Quand ils atteignent le troisième étage, son premier réflexe est de la plaquer contre le mur de briques et se placer devant elle, son corps devant cacher le sien.

« … erm, le moment est mal choisi, mais… tu m’expliqueras, n’est-ce pas ? »

Dans sa course et avec ce sentiment d’angoisse qui la tiraillait depuis une dizaine de minutes, la jeune Gae In n’avait prêté attention à rien d’autre qu’au bruit des chaussures sur l’asphalte qui semblaient la suivre et à la vitesse de ses propres jambes. Arriverait-elle à courir suffisamment vite ? Elle n’en savait rien et ne se posait même pas la question. Elle courait, continuait de courir sans même s’épuiser, ne pensant à rien d’autre qu’à la fuite. Comme un animal effarouché qui fuyait son prédateur à travers la forêt. Sauf que là, ce n’était pas une question de vie ou de mort. Non, c’était beaucoup moins grave mais la jeune fille, à l’heure actuelle, n’en avait pas conscience. Pour elle, si ces malades pouvaient lui courir après en pleine rue pour une histoire de fric, ils ne s’arrêteraient pas à ça. Elle avait de la chance d’être athlétique, car vu la vitesse à laquelle elle courait et depuis combien de temps, n’importe qui n’ayant pas une bonne forme physique se serait déjà arrêté.

Elle ne tarda pas à fatiguer, cependant, et c’est hors d’haleine qu’elle décida de s’engouffrer dans une ruelle pour essayer de se planquer et, de ce fait, de semer les créanciers qui continuaient inlassablement à lui courir après. Elle avait raison de faire cette pause : d’évidence elle se fatiguerait avant eux si elle continuait de foncer à travers la ville en poussant des gens de force. Eux, avec leurs épaules carrées et leurs centaines de kilos de muscles, n’avaient même pas besoin de forcer. D’ailleurs, combien étaient ils à la guetter depuis tout ce temps ? Trois ? Cinq ? Gae In était trop effrayée par ce qu’elle pourrait trouver pour sortir de la ruelle et les chercher du regard. Elle resta donc quelques minutes dans sa cachette et tâcha de reprendre son souffle. Malheureusement le repos fut de courte durée car une main sortie de nulle part l’attrapa subitement par le poignet et la fit suivre de force en courant.

Summer n’eut même pas le temps de voir à qui elle avait affaire, ce dernier ne lui laissant pas le temps de découvrir son identité, mais à la façon dont il avait agi envers elle, elle comprenait qu’il ne s’agissait pas d’un des rapaces qui la poursuivait mais de quelqu’un qui voulait l’aider. Elle se laissa donc entraîna, faisant abstraction de la fatigue et continuant sa course effrénée sans protester, pouvant toujours sentir des pas derrière les deux jeunes gens. Le garçon la tira dans les escaliers d’un immeuble, qu’ils gravirent jusqu’à parvenir au troisième étage. Enfin, la course poursuite semblait toucher à sa fin et la jeune fille se permit de reprendre son souffle, qui fut immédiatement coupé lorsqu’elle fut plaquée contre un mur, le garçon juste devant elle, à quelques centimètres seulement. La demoiselle s’apprêta à se défendre mais elle fut coupée net par le visage qu’elle découvrit avec stupeur.

« … erm, le moment est mal choisi, mais… tu m’expliqueras, n’est-ce pas ? »

Tae Joon !? Depuis quand avait-il décidé de l’aider, celui-là ? Alors qu’il l’avait définitivement effacé de sa vie il y a plusieurs années ? Car oui, cela faisait assez longtemps que les deux jeunes se connaissaient. Ils avaient même été très complices autrefois. Ils avaient beau avoir été juste amis (amis version baisers et plus, par moments), Gae In avait eu quelques sentiments pour lui et le fait qu’il ait pu si simplement l’oublier, la jeter de sa vie de la sorte l’avait vraiment froissée. Même plus que ça, elle en avait énormément souffert. Oh, avec le temps, elle s’en remettait un peu. A vrai dire elle s’en remettait à peine, maintenant qu’au lieu de penser à cela, elle avait ses emplois du temps chargés de trainee. Et tout ces efforts n’étaient pas pour que le jeune homme revienne à la charge maintenant qu’elle arrivait un peu à tourner la page. Alors, quelques minutes après, lorsqu’elle arrêta de fixer ses yeux avec surprise et que le choc fut passé, elle repoussa fortement Tae Joon. Les battements de son cœur reprirent une allure normale.

« Pas la peine. Merci de ton aide, mais je pouvais m’en sortir toute seule », lâcha-t-elle d’un ton agressif.

Non, elle n’aurait pas pu s’en sortir sans lui, c’était évident, mais elle ne voulait pas lui montrer une once de gratitude ou même de gentillesse. Elle voulait lui faire comprendre qu’elle avait eu mal à cause de lui. Mais que malgré tout, elle était assez forte pour vivre sans son soutien.

« Qu’est-ce que tu fais là, d’ailleurs ? Et pourquoi tu prends la peine de m'aider ? »

Pourquoi tu m’aides alors que tu as décidé de couper les ponts il y a deux ans ? C’était ça la vraie question, mais elle n’était pas en état de la poser. Pour l’instant, tout ce qu’elle voulait c’était qu’il parte, et que l’agitation qu’il semait dans son corps et dans son esprit disparaisse avec lui. Elle lui était certes redevable et avait pour lui une profonde gratitude, mais elle ne voulait pas laisser ces émotions prendre le dessus. Il fallait qu’il comprenne que plus tôt il partirait, mieux ce serait pour elle. Problèmes d’argent ou non.