Je savais que je finirais par le trouver là. Dans sa pièce de prédilection. Car je sais qu'il aime s'y réfugier, pour décompresser et s'exprimer par la danse. Comme d'habitude, je n'avais aucune idée de l'heure et du jour où il viendrait alors j'ai rôdé dans les lieux à chaque interclasse, tourné en rond à chaque pause et j'ai même fait des heures supplémentaires. A l'heure où toutes les lumières sont éteintes à Kirin, j'ai fait le mur pour entrer et m'ôter le doute qu'il ait pu avoir la même idée, bien que saugrenue. Finalement, après trois jours de filature intense, je l'ai aperçu dans la salle de danse, faisant ce qu'il sait faire le mieux. Danser. Si j'aime plus que tout les envolées lyriques, avec lui je prends de l'altitude sans même bouger un orteil. Voilà pourquoi, depuis quelques semaines, je suis devenue son ombre, je le suis partout.

En cet auguste matinée, je suis tombée de mon lit, ce qui m'a réveillée plus tôt que d'habitude. J'ai donc décidé de venir plus tôt pour prendre le temps de faire quelques gammes au piano et exercer ma voix. Mais quelle surprise... de l'apercevoir là où je ne l'attendais plus, de si bonne heure. Une musique entraînante résonne dans tout le couloir et me pousse à m'approcher de la salle, me tenant tel une statue sur le seuil de la porte. A Kirin, il n'y a que des jeunes, aussi doués les uns que les autres, mais lui, il a un truc en plus quand il danse. On voit qu'il aime vraiment ce qu'il fait et c'est de la même manière que le chant est devenu une passion pour moi. Pourtant... je voudrais bien savoir virevolter comme lui, enchaîner des pas malgré la fatigue ou la douleur. J'ai bien appris, dans la rue, mais je n'ai jamais eue cette expression sur mon visage ni cette assurance.

Dans le silence, je le suis du regard, observant chacun des gestes de ce mystérieux danseur. Et je ne comprends rien de ce qui m'arrive. Pourquoi suis-je autant éblouie par lui ? J'ai tellement envie de lui parler, de tout savoir de lui et, en même temps, je redoute ce moment où toute la magie retombera. Ce moment où il ne sera rien de plus qu'un étudiant parmi tant d'autres. Peut-être que de son côté, lui non plus n'a pas tellement envie de ma parler. A plusieurs reprises, il m'a prise sur le fait, en pleine observation. Nos regards se sont croisés et je n'ai pas oscillé d'un cil, restant là, à le scruter comme si de rien n'était, comme si je n'avais pas peur. Je ne suis pas une fille qui glousse ou qui pleurniche à la moindre occasion et, pour personne.

Je me rends compte, en posant rapidement les yeux sur les aiguilles de ma montre, que les minutes passent. Je devrais peut-être poursuivre mes plans et suivre l'exemple de mon mystérieux danseur : travailler pour progresser. Alors que j'entoure de ma main l'anse du sac déjà posé sur mon épaule et m'apprête à partir après avoir jeté un dernier coup d'oeil vers lui. C'est alors à ce moment précis qu'il relève la tête, après avoir effectué un saut spectaculaire. Il passe la main sur les cheveux qui recouvrent ses yeux. Ses yeux se fixent sur moi. Encore une fois, je ne bouge pas, je ne me cache pas.