Tu es partie un jour de pluie. Un simple sac sur ton épaule, la porte claquant derrière toi. Il pensait qu’avec la force de l’averse, tu renoncerais rapidement. Il te donnait deux heures à peine. Cela fait déjà trois ans que tu n’as pas remis les pieds ici.

Il tombe des cordes, et l’air n’a pas tardé à se charger d’humidité. On entend l’eau marteler les toits aux alentours ; le large parapluie sous lequel elle se tient ploie, mais insensible et inflexible, elle avance sans sembler s’en soucier. Elle enchaîne les pas prudents sur l’asphalte trempé, veillant seulement à ne pas glisser. Sa frêle silhouette, toute drapée de noir, se découpe avec incertitude dans la grisaille. Soudain – une flaque. Elle la voit, hésite, se fige.

« Désolée de t’avoir fait venir. Ce n’a rien de très drôle, mais comme je devais… »

Il est là, lui aussi. Depuis qu’ils se sont retrouvés à l’arrêt de bus, ils n’ont pas échange un mot. La nécessité de loger tous deux sous l’auvent du parapluie les oblige à marcher très près l’un de l’autre. Par moments, tranchant avec le vent glacial, Na Eun sent son souffle chaud venir lui chatouiller la nuque. Elle essaie d’ignorer l’hypersensibilité de sa peau à cet instant précis.

« Cela ne te prendra qu’une ou deux heures. Je n’ai pas spécialement envie de m’éterniser. A dire vrai, je n’ai pas spécialement envie d’y aller. »

La grille principale est enfin en vue. Ils ne l’ont pas encore franchie que les souvenirs la prennent à la gorge. Les cris, les pleurs ravalés. Le portail automatique s’ouvre bientôt afin de les laisser entrer, et déjà, à l’autre bout de l’allée, une femme d’un âge certain âge arrive au pas de course. Kim Ajuhmma sa gouvernante. Na Eun ne l’a pas revue depuis son départ ; et pourtant, il s’agit sans doute d’une des seules personnes au monde contre laquelle la jeune fille ne dirigera jamais ses foudres. Enfant terrible, enfant sauvage. Elle ne l’est pas assez pour se montrer ingrate envers celle qui l’a élevée.

« Agasshi. Je savais que vous finiriez par vous décider… si vous saviez combien votre père s’inquiétait et voulait voir. Après tout, malgré les circonstances… enfin, c’est aussi votre anniversaire. »

Sans que Na Eun ait prononcé le moindre mot, esquissé le moindre mouvement, trahi la moindre émotion, on les conduit vers la grande bâtisse. Le trouble de la demoiselle se lit dans un geste, un seul : doucement, sa main s’est refermée sur l’avant-bras de Hyun Woo, et ses doigts s’y plantent avec nervosité. Distraitement, elle se demande si son meilleur ami comprend ce qu’il se passe. Ce qu’il s’est passé. Son dépar, ses peurs. Elle ne lui a jamais rien avoué de tout cela.

« Regardez. La petit est venue. »
« Ce doit être dure pour elle. Commémorer la mort de sa mère alors que c’est son anniversaire…ça lui fait quel âge ? Vingt ans à peine, non ? »
« C’est sûrement qui l’a perturbée. Petite, elle était si charmante. Maintenant c’est à peine si elle se fendrait d’un sourire poli. Vous saviez qu’elle avait refusée une bourse d’Oxford pour aller jouer les musiciennes dans une école pour ‘artistes’ ? »
« Il paraît que c’est pour cela que son père l’a chassée. Mais en même temps, il faut le comprendre, le pauvre homme… si elle n’en fait qu’à sa tête… »

Dans la salle principale, se presse toute une foule d’inconnus. En y regardant avec un peu plus d’attention, Na Eun parvient à distinguer quelques visages déjà entr’aperçus. Des vagues relations, de connaissances quelconques qui ont fréquenté sa mère au cours de repas mondains ou de soirées huppées. Leurs vêtements sont aussi sombres que les siens. Ils arborent tous le même air désolé, tiennent tous les mêmes propos navrés, lui jettent tous les mêmes regards en biais. Le brouhaha de leurs conversations pèse sur l’atmosphère et la rend toujours plus étouffante.

« Votre père arrivera bientôt. »

Elle se tient dans un coin de la pièce, adossée à un mur. Une seule envie l’habite disparaître.

« Woonie, je pense que c’était une mauvaise idée. On devrait rentrer. »

Tu te trouves face à ses grilles que tu n'a jamais franchi. Tu la laisse repartir d'un pas lent vers l'immense demeure qui se dresse derrière elle. Combien de fois t'es-tu demandé comment elle pouvait vivre dans ses conditions ? Combien de fois t'es-tu retenue de lui demander comment elle allait vraiment ? Tu la regardes frémir dans le froid de cet hiver glacial. La neige est tombé sans aucun doute sur le pays, et celle-ci recouvre les marches gelés montant vers la demeure où elle vit, elle et son père que tu n'as encore jamais vue de ta vie entière. Un soupir s'échappe de ta bouche gelée par le froid. Tu enfouis ton visage un peu plus dans ton écharpe et tes doigts se crispent sur les barreaux de la grille quand tu la vois frémir de froid et d'anxiété à l'idée de rentrer. Tu aimerais tellement faire quelque chose, mais tu ne peux pas. Tu aimerais tellement la sauver, mais tu n'y arrives pas. Elle est enfermée dans sa bulle. Tu ne peux percer celle-ci, tu n'oserais pas la blesser plus qu'elle ne l'est au fond. Tu as peur. Pour elle.

« Attends.. reste là.. »

Les doigts de Hyun Woo se resserraient sur le poignet de Na Eun tandis que son regard croisait le sien, la suppliant presque de l'écouter et de rester là. Il savait sans doute ce qu'elle eut pu endurer en se retrouvant ainsi confronter à un retour aux sources des plus brutales. Il savait sans doute qu'elle ne pourrait aucunement supporter tout ce fardeau sur ses épaules, toute cette tension qui ne pouvait en aucun cas apaiser son coeur comme il aurait voulu qu'il le soit. Les doigts de Hyun Woo glissèrent inconsciemment du poignet à la main de la jeune femme, glissant doucement contre sa peau froide, non glacée, par l'atmosphère et la pluie fraiche qui les avaient assailli de froid et de chagrin ce soir-là. Frolant ainsi l'intimité suprême que Na Eun comptait préserver, Hyun Woo entrelaçait ses doigts autour des siens, resserrant ainsi sa prise pour qu'elle ne puisse lâcher avec impertinence ce qui la rendrait plus forte.

« Reste là... Subis... je suis là.. » »

Subis ton sort et tais-toi. L'impertinence de Hyun Woo était si aveuglante qu'il ne se rendait compte qu'il venait d'attirer le regard de plusieurs bonnes au regard froid qui essayait d'analyser le geste affectif de Hyun Woo envers sa meilleure amie. Il soupire et laisse son regard glissé sur la horde de personnes leur bloquant presque le passage, provoquant l'étouffement, le manque d'air de Na Eun et Hyun Woo. Un soupir et il l'a regarde d'un regard attendrie et inquiet. Hyun Woo était réellement inquiet pour Na Eun. Encore fallait-il qu'il lui souhaite bonne anniversaire mais dans quels conditions eut-il pu le faire ? Ils se trouvaient à une commémoration de la mort de sa mère, là, tout les deux, enfouie dans cette foule de personnes que la mère de la jeune femme semblait connaître. Au fond, Hyun Woo aurait voulu connaître la femme sublime qui arborait les photos et les cadres dans le salon de la demeure. Oui bien entendu qu'il les avait déjà vue, une ou deux fois seulement, mais son visage restait distinctement gravé dans son esprit – il était le même que Na Eun. Des traits fins et bien dessinés. Un sourire doux et mielleux que l'on désire juste embrasser. Bien que Na Eun n'eut pu vraiment sourire réellement depuis des années. Des yeux noisettes d'une profondeur envahissante qui noyait ainsi Hyun Woo dans ceux de sa meilleure amie avec inconscience et danger. Un soupir et il se retrouve accolé à la jeune femme, poussé par un vieux bouc qui ne s'excuse pas. Il se retourne, près à cracher son venin comme il l'aurai fait auparavant – mais il se fige, il reste pétrifiée, sa main toujours glissé dans celle de Na Eun. Il exerce une pression trop forte sur les doigts fragiles de la jeune femme, mais il s'en veux... il a changé... il n'est plus le garçon qui aurait crier sur celui qui ose le pousser. Il n'est plus le garçon qui aurait crier pour avoir blesser sa meilleure amie, car au fond, il l'a blessait lui même.

« Je suis désolé... Je... »

Aussi perturbé que la jeune femme, il glisse contre le mur à son tour et se retrouve à ses côtés, d'un geste tendre il se rapproche doucement d'elle. Il se fiche bien des différents précédents événements qui ont causés un trouble dans leur relation. Il s'en fiche irrévocablement en ce jour – sinistre et pourtant qui devrait être d'une joyeuseté implacable. Aujourd'hui était l'anniversaire de Na Eun. Aujourd'hui il se promettait de la prendre heureuse quoi qu'il arrive, quoi qu'il puisse faire. Un regard vers elle et il baisse indéniablement son regard. De peur de la blesser, il n'ose pas parler. De peur de la blesser, il parle quand même – que peut-il faire à la place ?

« Si tu veux fuir, fuyons... mais je veux juste que tu me souris.. je veux que tu ailles bien et que tu ne pleures pas ce jour... tu n'as pas le droit, tu n'as plus le droit, à partir d'aujourd'hui...il ne s'agit pas seulement de la commémoration de sa mort.. mais aussi de ton anniversaire... et je ne laisserais personne le gâcher. En aucun cas... »

Un geste timide vers elle. Son corps pivote vers elle. Sa main se pose sur ses cheveux et il en caresse ainsi la crinière. Il rêvasse et cherche quelque chose pour la sortir de cette peur, de ce vide incongru qui se forme autour d'elle la tétanisant de sorte à ce qu'elle oublie la vraie raison de son arrivée ici. Un geste timide vers elle. Il s'abaisse à sa hauteur et la regarde difficilement dans les yeux. Le goût de leur baiser de l'autre jour titille les lèvres de Hyun Woo, mais il n'est surement pas temps d'y repenser, pourtant, il y repense, encore et toujours – depuis exactement deux jours.

« Que puis-je faire... Dis moi... dis moi tout ce que je peux faire pour t'aider, pour te rendre heureuse... Na Eun... je ne supporterais pas un jour de plus de te voir ainsi, tu es trop fragile pour supporter un nouvel anniversaire ainsi.. »

Soudainement, il s'élance dans la foule. Soudainement, il tire la jeune femme à travers cette foule envahissante, sa main se pressant sur la sienne un peu plus pour l'aider à venir contre lui. Il sent le souffle de Na Eun contre sa chemise noir. Il sent le souffle de Na Eun sur la peau de son cou. Peut importe, il n'a que faire de tout cela – il ne doit pas y penser. Ressortant dans le hall d'entrée, il se dirige à l'étage et l'attirer jusqu'aux couloirs déserts de cet étage qu'il eut connu pendant un temps – étage où ils eurent jouer quelques fois, quand le père de Na Eun fut en voyage d'affaires et qu'il était autorisé à se rendre dans la demeure des Yoo – lui le meilleur ami.

« Na... eun... » disait-il dans un souffle alors qu'il se rendait peut-être compte de sa bêtise de l'avoir tirer de cette douleur que de voir des gens aussi nombreux pour une autre personne que elle et son anniversaire. « Viens... Et ne refuse pas.. » Il tend sa main vers elle, car elle l'avait lâcher en montant les escaliers avec douleur et fragilité. Il attrape ses doigts doucement et déplace une mèche volante venue se loger sur le front de la jeune femme dans un soupir perdu.

Après une heure ou deux, tes sanglots se sont tus. Il ne t’en reste que des hoquets intermittents qui s’espacent et disparaissent peu à peu. Les yeux rougis par les larmes, le front posé contre son épaule, tu restes là. Brisée, désarticulée – on dirait une marionnette dont on aurait coupé les fils. Pressant tes épaules de ses larges mains, il secoue soudain ton corps inerte, te remet sur pied et t’entraîne à sa suite. Accablée et hébétée, tu lui emboîtes le pas. Vous voilà à l’étage ; on vient à peine de célébrer les funérailles, rien n’a encore eu le temps de changer de place. Sur la grand’table, traîne encore la longue règle de bois qu’elle faisait tomber sur ses doigts lorsque tu ne résolvais pas assez vite tes problèmes d’arithmétique. Woonie ne te glisse que quelques mots à l’oreille. Si tu es en colère, montre-le. Il n’en faut pas plus pour que la colère s’empare de toi. Quelques minutes plus tard, gisent à tes pieds des partitions lacérés qu’elle te faisait réviser, les débris des serre-têtes roses qu’elle te posait sur le crâne, les lambeaux des robes en dentelle qu’elle t’obligeait à porter. Mais cela ne t’apaise guère. Et tu recommences à pleurer. Il te serre dans ses bras. Tu t’accroches désespérément à lui, ne craignant plus qu’une chose, une seule : qu’il t’abandonne à son tour.

Au pied de l’escalier, tout son corps s’est figé. Woonie a déjà gravi quelques marches. Mais elle hésite encore. Elle s’essaie timidement à un pas qu’elle refoule immédiatement. Cela fait si longtemps, trop longtemps. Elle n’est pas venue depuis des années, et une crainte indicible s’insinue en elle. A l’étage, se trouve la chambre de sa mère. Depuis le suicide de celle-ci, on en a presque fait un sanctuaire. On n’a pas osé y déplacer le moindre objet ; c’est à peine si l’on en a déjà rouvert la porte. Na Eun se souvient qu’à son départ, une épaisse couche de poussière recouvrait déjà tous les meubles. Avec un semblant d’effort, elle se remémore aussi la senteur que la défunte a laissée dans toute la pièce. Une odeur de roses et de violettes – le premier et seul parfum que son cher et tendre époux lui ait jamais offert. Tout dans cette chambre exhalait la désillusion et les espoirs trompés. Et pourtant, la demoiselle qui se retient maladroitement à la rampe se dit qu’elle ne supporterait pas qu’un changement, même le plus minime, s’y soit produit. Toute la colère et le ressentiment que sa génitrice a distillé en elle se trouve dans ce triste musée des cœurs laminés. Si Maman Yoo n’a a jamais été tendre avec sa petite, c’est que Papa Yoo ne lui a jamais témoigné d’affection – carence pour carence. L’abandon dans lequel on a laissé ce qui lui appartenait ne faisait qu’un juste contre-pied aux exigences pointilleuses auxquelles elle soumettait son enfant. Na Eun secoue la tête et s’apprête à rebrousser chemin. Mais son regard croise celui de Hyun Woo, et toutes ses réserves se trouvent alors comme mises en sourdine. Elle le suit.

« Tu te souviens quand on jouait à cache-cache alors que c’était interdit ? Maman avait peur que je cours trop. Ç’aurait gâché tous les efforts qu’on avait fourni, le matin, pour me coiffer. Cela prenait des heures – faire tous ces chignons compliqués, y ajouter tous ces rubans et ces froufrous. J’avais l’air ridicule, n’est-ce pas ? Un vrai vilain petit canard que l’on voulait déguiser en cygne. A l’école, les autres se moquaient de moi. Ils attendaient que t’aies le dos tourné. »

Elle parle plus qu’elle ne le voudrait ; elle se force. De coutume, évoquer le passé la répugne. Mais le moindre prétexte, même la conversation la plus mièvre, lui convient tant qu’elle peut se détourner des pensées qui l’assaillent. Ils longent un corridor, et les conversations des convives ne les atteignent plus que par bribes. Le plancher craque sous pas – ce son familier lui a étrangement manqué. C’est assez déconcertant – ce bruit, il lui a été donné de l’entendre tous les jours pendant une quinzaine d’années. Mais ce n’est que maintenant qu’elle le retrouve qu’elle s’en rappelle réellement. Il y a quelque chose d’effrayant à cela, comme si tout ce qu’elle avait tenté d’oublier depuis son départ lui revenait en plein dans les dents.

« T’étais toujours là en fraude – parce que je devais pas perdre mon temps, Maman m’obligeait à réviser. Il fallait te faire escalader le grillage. Puis après, on courait dans toute la maison pour éviter les domestiques et le précepteur. Quand ils nous trouvaient, ils te mettaient dehors. Et moi, j’avais des exercices supplémentaires en punition. »

Le goût amer des réminiscences se mêle au fiel de ses paroles. Et pourtant, un sourire aigre-doux s’étire sur ses lèvres. Les voilà rendus dans la salle du piano. Na Eun s’en approche et en effleure doucement les touches ; une fine pellicule de poussière recouvre le clavier, il lui en reste des traces grises sur les doigts. Précautionneusement, elle appuie ; une note s’élève dans les airs.

« J’ai passé des heures assise à ce piano. Je le détestais – quand je ratais un morceau de violon, je devais y rester jusqu’à ce que mes doigts s’assouplissent. » Lentement, elle a pris place devant le piano. « Nee, ça fait longtemps que t’as rien chanté pour moi. Est-ce que j’ai le droit à un concert privé de la part du grand Song Hyun Woo, leader des Shooting Stars ? »

(la chanson, c'est à cause de Bee, que j'ai choisi celle-ci. Donc. MJ quoi (a) ♥ *sbafffffffffffff* naoon me fait pas une criiiiiiiiiiise Bee. <3 Iloveyoutrèstrèstrèstrès(....)fort. Tu viens de me le dire avec ta surprise toute zoolie de la vie. ♥ ♥ ♥ ♥ erm. Bref. On est sur une réponse làà. Bibiche trooop bête. Mais mais, Eunwooooooooooo pis Youngyoung (a) ? mouhahahaha.)

« Na... Na Eun.. Tout ces souvenirs, ils te hantent mais... »

Il échappait un léger soupir. Que pouvait-il faire contre tout ça ? Tout ses souvenirs étaient aussi les siens et à bien des égards, il semblait presque heureux de les avoir vécu avec elle – simplement elle. Yoo Na Eun n'était que sa meilleure amie, mais il nourrissait l'envie, encore une fois, de la prendre dans ses bras et de lui montrer qu'il serait toujours là pour elle. Prêt à tout. Pour toujours. Quoi qu'il arrive. Sans doute était-ce ironiquement idiot aux yeux des autres mais Hyun Woo était réellement attaché à la présence de Na Eun à ses côtés et ce jour-là encore, il aurait aimé lui montrer qu'il était là pour elle, plus encore qu'elle ne pouvait le penser. Mais il savait que le mal être était là et ne pouvait en aucun cas se dissoudre – surtout venant de Na Eun.

« Je me rappelle... J'avais tendance à m'égratigner les mains à chaque fois et tu insistais pour mettre de l'alcool dessus. Ca me brûlait et tu riais en disant que j'étais simplement douillet. Mais c'était même pas vrai et... »

Il se rappelait tellement de choses qu'il eu vécu en sa simple compagnie. Na Eun était vraiment la jeune femme avec qui Hyun Woo était la plus proche au monde. Encore fallait-il savoir définir le mot « proche » dans le vocabulaire du jeune homme puisque depuis ses années lycée, il eu bien collectionner un bon nombre de conquêtes avec qui il fut aussi « proche » que Na Eun était sa meilleure amie « proche ». Mais auparavant, il ne s'agissait sans doute pas de la même chose. Seulement, les derniers évènements encourus récemment n'aidaient en rien le jeune homme à se faire à l'idée qu'elle était simplement sa meilleure amie et rien d'autre. C'était tout bonnement impossible pour lui aujourd'hui – en ce jour et en cette heure. Debout face au piano, il l'observait. Elle et ce majestueux piano qu'il n'eut touché que trop peu de fois depuis qu'il connaissait la jeune femme. La musique. C'était l'élément de Na Eun. L'élément qui la qualifiait si bien. Un sourire vint se dessiner sur le visage de Hyun Woo et il s'asseyait à ses cotés. Un soupir et il pose ses doigts sur les touches du piano et en fait sortir une douce mélodie qu'il n'eut pu guère travailler jusque là. En effet, cela datait de bien des années qu'il avait osé jouer au piano et encore, une chanson qui ne lui appartenait pas mais qui l'inspirait sans doute beaucoup à ce moment précis de la soirée.

« Un concert privé de Hyun Woo ? Arf... Ca fait longtemps que je n'ai pas... *silence- mais va donc t'assoir là bas, ou nan, reste... mais... désolé de la médiocrité.. »

Une touche. Deux touches. Trois mélodies. Un sourire. Une respiration. Et la chanson démarre.

« Do you remember
When we fell in love
We were young
And innocent then
Do you remember
How it all began
It just seemed like heaven
So why did it end? »

Il n'était sans doute pas doué. Il avait sans doute perdu de son expérience. Il avait sans doute perdu plus qu'une petite technique pendant ces derniers mois. A vrai dire, Na Eun était la seule inspiration de ce soir-là. A vrai dire, il n'avait pas changé depuis exactement trois mois et deux jours. Il les comptait, inlassablement. Il les comptait, en espérant. Et puis, c'était aujourd'hui finalement qu'il se rendait compte que sa voix restait inchangé – qu'il se rendait à quel point, il fut idiot de croire qu'il perdrait tout talent après son accident. Mais n'a t-il pas le droit d'être anxieux face à cela ? Après tout...

« Je... Je peux pas vraiment.. chanter plus, Na Eun.. Les paroles sont assez niaises pour me faire taire et puis... et puis ca fait plus de trois mois que je n'ai pas sortie une mélodie d'entre mes lèvres... »

Et plus de trois mois qu'il n'avait pas osé la voir de peur de la blesser. Plus de trois mois qu'il ne cessait de penser qu'elle le détestait. Plus de trois mois que cette soudaine envie d'elle l'attisait tout au fond de lui – lui et son coeur – lui et son esprit.

« Tu n'as pas envie de le voir, ne? Ton... Enfin... Je ne sais pas comment l'appeler dans ses circonstances Na Eun alors épargne moi, je sais que tu as compris. Pourquoi ? Il s'est passé quelque chose pendant que j'étais.. disons... absent ?  »

Forcément qu'il s'était passé quelque chose. La situation était juste pire qu'avant.
Forcément qu'il s'était passé quelque chose. Et il avait juste envie de la prendre encore dans ses bras et de se prendre une claque aussi forte que les précédentes. Ou peut-être un coup de poing. Ou un coup de pied. Ils n'étaient que rares ceux-là. Un léger sourire se dessinait sur son visage tandis qu'il se remémorait.

Tu n'es qu'un triple idiot. Pourquoi tu lui as dit « Je t'aime » juste comme ça ? Tu pensais affecter son coeur à elle ? Bonjour l'état de ton genou maintenant. Tu n'es vraiment pas intelligent parfois. Tu ne fais rien qui va. Tu n'écoute que toi. Tu n'écoute pas ce qui t'entoure. Tu as seulement remarqué que tu sors avec une fille horrible avec un style vestimentaire trop... disons... dénudé et que Na Eun a essayé de t'ouvrir les yeux tant bien que de mal ? Tu es aveuglé. Tu es aveugle tout court même. Alors pourquoi tu lui dis « je t'aime » en claquant des doigts ? Du jour au lendemain tu lui adresse un geste qui ne lui convient pas – qui ne devrait pas convenir à elle mais à ta « copine » actuelle. Alors pourquoi maintenant ? Toi aussi tu essayes de répondre à cette question. Toi aussi tu essayes de comprendre pourquoi tu as fait ça. M'enfin maintenant tu t'es pris une gifle, un coup de genou et un coup dans l'épaule. Des bleus énormes. Mais sans doute l'as tu mérité toi et ta fierté d'avoir trop de femmes autour de toi. As-tu oublié que Na Eun n'est juste pas comme ça ?

La passion pour la musique, tu ne connais pas. Quand tu avais trois ans, on t’a fourré un violon dans les mains et on ne t’a pas laissé le reposer tant que tu ne savais pas en jouer. Tu as fait des gammes comme tu apprenais tes tables de multiplication. Machinalement, mécaniquement. Sans émotion. N’aimant pas particulièrement cela, ne détestant pas pour autant. A la mort de ta mère, tu aurais dû arrêter. Mais tu n’as pas voulu – tu n’as pas pu. C’était le seul liait qui te rattachait à elle.

C’est quand Hyun Woo chante qu’elle l’aime le mieux. A ce moment-là seulement, il laisse tomber le masque de séducteur invétéré et se résigne à n’être plus que voix. Indifférent aux regards des autres, il se concentre sur sa musique, oublie le reste. Alors, Na Eun a l’impression qu’ils se rapprochent un peu, rien qu’un peu, mais tout de même. La distance est toujours là, béante, sans doute infranchissable. Mais les notes qui s’égrainent la comblent un tantinet, millimètre par millimètre. Les doigts de la jeune fille glissent délicatement sur le clavier du piano, mais n’osent pas presser les touches. Elle accompagne le chant de Woonie en silence. Quand il se tait, ses mains ne se figent pas pour autant ; elles poursuivent leurs mouvements compliqués, recomposant l’air interrompu, inventant sa mélodie à elle – leur mélodie à eux. Il reprend la parole, elle ne lui adresse pas un regard, feignant de ne rien entendre. Comme elle incline la tête en avant, ses boucles ébène son entraînées avec elle et couvrent son visage pâle. Mais l’insistance du jeune homme corrode peu à peu ses résistances ; son mutisme se craquelle de minute en minute. Si cela continue, il n’en subsistera plus que des poussières et des débris.

« Prends pas ces airs dramatiques. Je te l’ai déjà dit : il ne s’est rien passé. Rien de grave. »

Le déni se confond chez elle avec un instinct. Il s’agit presque d’une réaction automatique, irréfléchie. C’est le premier rouage d’un mécanisme de défense élaboré au fil des années – bien huilé et implacable. Mais son regard sombre croise celui de son meilleur ami, et il y a comme un grain de sable qui, subreptice, se glisse dans le système et le dérègle. Sa belle assurance, son beau mensonge se fendille, et sa façade de prétendue force s’effondre. Quand elle reprend la parole, seul un chuchotement s’échappe de sa gorge.

« Ce n’est pas vraiment que je ne veux pas le voir. En fait… j’aime rais bien. Le voir. Le revoir. Mais c’est juste que je suis… »

L’espace d’un instant, elle est prête à passer aux aveux. Les mots naissent au creux de sa gorge, montent jusqu’à ses lèvres. Il suffirait d’un souffle, d’un seul, pour les prononcer et dévoiler toute la vérité. Et, sur le moment, cela lui paraît si possible que la demoiselle entrevoit presque ce qui se passerait alors – la solitude qui pèse sur ses épaules depuis tant de mois, l’isolement qui la suffoque un peu plus chaque jour, les ténèbres qui se referment sur elle dès qu’elle passe la porte de sa miteuse chambre de bonne… si Hyun Woo savait, il la soutiendrait. Il l’aiderait. Elle ne serait plus si esseulée, si égarée, et cette désagréable impression de tomber dans le vide sans rien pour la rattraperait se dissiperait peut-être un peu. Les choses changeraient. C’est tout cela que la demoiselle s’imagine quand un coup soudain, frappé à la porte derrière eux l’interrompt. Sur le seuil, se tiennent Kim Ajumma et son air désolé.

« La secrétaire de Monsieur votre père nous a téléphoné. Elle nous a fait savoir qu’il vous priait de l’excuser, mais aujourd’hui, il ne pourrait pas aux cérémonies en l’honneur de votre mère. Il en avait la ferme intention, mais une réunion… enfin, vous savez… »

* * *

« Diiiiiiis… Woonie, tu t’es jamais demandé pourquoi la Terre tourne ? Personnellement, je m’en suis toujours contrecarrée. Honnêtement, même si la planète demeurait perpétuellement figée au même point… qu’est-ce que cela changerait ? Les gens, ils sont cons. Les gens, ils resteront quand. Le mouvement des astres n’a aucune incidence là-dessus. C’est pour ça que je m’EN FOUS. Mais en même temps, la Terre tourne vraiment, nan ? ‘fin, le sol tangue. Et les objets se dédoublent. Je crois. »

Les bras déployés dans le vide, la silhouette oscillant de gauche à droite, Na Eun esquisse un pas incertain sur le bureau. Ses pieds nus – elle ne sait plus très bien où sont passées ses chaussures, entrent en contact avec le bois froid, et elle frissonne. Ce tremblement la fait hésiter un instant. Elle se fige, debout sur la table, la tête inclinée sur le côté, un flacon débouché de cognac à la main. Une seconde s’écoule, puis deux, et finalement, elle se met lentement en mouvement. Lentement, elle porte le goulot de la bouteille à ses lèvres et absorbe une nouvelle gorgée. L’énième d’une longue série. Ses jambes s’actionnent à nouveau, mais son pied heurte un presse-papier qui traîne là. Ses genoux se dérobent sous elle, et sa frêle silhouette que l’on voit tituber avec difficulté s’effondre dans le même élan. Bientôt, sur le bureau, il ne reste plus que sa petite forme accroupie et recroquevillée sur elle-même.

« T’es pas drôle. Je suis sûre qu’avec les autres filles, tu bois. Avec les autres filles, tu fais pleiiiiin d’autres choses que tu fais pas avec moi. T’es pas drôle. »

Il se tient face à elle. Prévenant comme il sait l’être avec elle, il s’est sans doute précipité à ses côtés quand il l’a vue trébucher. Même sans le regarder, la jeune fille devine les yeux inquiets que son meilleur ami pose sur elle. Cette expression qu’un grand frère a lorsque sa cadette tombe de vélo, elle la connaît par cœur ; c’est sans doute la seule qu’il arbore en sa présence. Et à cet instant, Na Eun trouve cala particulièrement exaspérant. Sans crier garde, elle relève la tête et darde des iris noirs et coléreux vers Hyun Woo. Puis elle se redresse, dépose la bouteille sur le rebord du bureau et laisse lourdement pendre ses jambes dans le vide. Elle se rengorge de manière inhabituelle ; son dos de coutume si raide s’arque avec souplesse, tandis que ses mains qui savent si bien éviter tout contact se referment sur le col de sa chemise. La moue capricieuse qui naît sur visage surprend elle aussi.

« Tu voulais savoir ce que tu pouvais faire pour m’aider ? … A-mu-se-moi~. »

C'était plus fort que lui. Il ne pouvait s'empêcher de penser au fait qu'elle puisse se faire mal, qu'elle puisse être blesser, qu'elle puisse aller mal, qu'elle puisse mentir – lui mentir. Il ne pouvait s'empêcher de vouloir la protéger malgré bien des égards. C'était inné chez lui – de vouloir protéger son prochain autant que sa propre personne. Hyun Woo ne se protégeait même pas – c'était pour dire à quel point il se souciait des autres plus que de lui même. Mais ce fut sans doute plus fort que lui quand elle ouvrit cette bouteille de cognac et qu'il voulut lui en arracher les mains sans succès. Na Eun est une inconsciente. Na Eun est ivre. Ivre de remords. Ivre de torture. Hyun Woo soupire à sa énième réplique et attrape à son tour la bouteille de cognac avant d'en avaler un longue gorgée et de la fixer un moment, attendant patiemment sa réaction passagère. Hyun Woo n'avait pas toucher à un verre d'alcool depuis des mois – depuis son accident, sans doute, ce jour-là, il s'en rappellerait longtemps et c'était une raison valable pour ne pas toucher à cette bouteille de cognac ce soir-là. Mais Hyun Woo contrecarrait les règles – toujours. La longue goulée d'alcool qu'il eut avalé, lui brûlait considérablement la gorge, mais il ne put retenir un grognement de mécontentement qu'il réprimait sa colère et sa froideur envers ce geste anodin qu'il aurait du se refuser.

« Tu es pénible quand tu es ivre, tu le sais ça ? Et... T'a..amuser? »

Il leva les yeux au ciel et soupira indéniablement agacé. Comment pouvait-il rester neutre dans une telle situation ? Comment pouvait-il tout simplement la laisser dans cet état là et simplement la regarder comme si elle faisait un spectacle de cirque en s'effondrant sur le bureau réduit à néant de Papa Yoo ? Un soupir déchira l'atmosphère et il se penchait vers elle posant ses mains de chaque côté de son corps et se baissant considérablement jusqu'à ce qu'elle soit allongé sur le bureau sur lequel elle restait assise depuis quelques secondes. Il glissa sa main le long de son cou jusqu'à sa joue et dégagea quelques mèches de cheveux volants dans ses yeux. Hyun Woo ne comprenait pas particulièrement pourquoi il agissait d'une telle façon avec elle, mais il se réduisait à agir et se taire – Na Eun était ivre. Na Eun ne pouvait en aucun cas résister aux insistances de Hyun Woo – elle ne pouvait en aucun cas lui résister totalement. Il soupira doucement. Le souffle alcoolisé de Na Eun lui parvenait malgré la distance de leurs visages encore assez convenable vue leur position. Son souffle alcoolisé réussissait à faire frissonner Hyun Woo. Il la regardait, plongeant son regard dans le sien. Hyun Woo semblait presque désespéré de la voir dans un tel état d'ébriété, mais il ne pouvait plus vraiment faire quoi que ce soit. Les mains de Na Eun étaient toujours accroché au col de sa chemise à moitié déboutonné, Hyun Woo glissa sa main droite le long de son bras pour atteindre sa main gauche, tandis qu'il tentait de la faire lâcher prise, sans succès. Il sourit doucement tandis que ses doigts se refermaient sur sa main délicate et y posait une pression douce et légère. Hyun Woo avançait son buste un peu plus vers elle, s'accolant presque à Na Eun, provoquant de nombreux frissons dans son échine et des tremblements dans sa main droite encore libre, posé à côté de la tête de la jeune femme.

« Ne demande pas ça, Eunnie... Pas de t'amuser... Je peux... »

Il n'eut sans doute pas le temps de finir sa phrase puisque les mains de Na Eun se faisaient plus insistantes sur le col de sa chemise, le sortant rapidement de sa torpeur et de ses paroles insensés qu'il venaient de prononcer. Il se refusait de céder à une tel tentation, à un tel geste, c'était presque de l'inceste pour lui que d'approcher Na Eun, mais il s'y résolvait sans contester. Les lèvres de Na Eun l'attiraient étrangement quand son regard se posaient doucement sur celles-ci et les fixaient pendant un laps de temps qu'il n'aurait vraiment sue définir. Déglutissant difficilement, il glissait sa main posé sur celle de Na Eun pour attraper la bouteille et avaler une nouvelle gorgée d'alcool, réduisant ses propres pensées par de simple mots provoquant ses actions les plus anodines. Il s'avérait qu'au bout de nombreuses goulées avalés par Na Eun, la bouteille retombait nonchalamment sur le sol, vide, alors que Hyun Woo plongeait à nouveau son regard dans celui de Na Eun.

« Tu es insupportable. Je te déteste tu le sais ? Tu m'énerves. Tu... m'at...tire.. »

La distance se réduisait de plus en plus. Hyun Woo était bercé lui aussi par ses sens les plus manipulateur, charmeur et perverse ; et le peu d'alcool qu'il eut pu boire. Hyun Woo glissait son corps contre celui de Na Eun. Hyun Woo ne pouvait pas résister à se pencher vers elle et déposer un baiser sur sa mâchoire, puis dans son cou. Il n'osait cependant s'aventurer sur ses lèvres. Il n'osait briser ce lien qui les unissaient depuis longtemps – à jamais. Pourtant il osait. Il osait provoquer des frissons, des brasiers intenses dans tout son être en déposant un simple baiser brûlant dans son cou froid et glacial qu'il n'eut jamais pu atteindre aussi facilement que ce soir là. Pourtant, ses doigts se dérobaient sous le chemisier de la jeune femme et il venait même déboutonner quelques boutons du corsage de la jeune femme pour apprécier un peu plus la vue de son cou dénudé. La respiration de Hyun Woo s'accélère au fils des secondes qui passe et que ses doigts ne courent le long du bas ventre de la jeune femme. Son regard se perd à nouveau dans le sien. Son coeur lui fait perdre ses esprits. L'alcool lui fait perdre ses esprits. Il est plongé dans sa contemplation. Il l'a dévore. Ses mains toujours occupés à jouer sur la peau réchauffée de Na Eun. Ses lèvres effleurant sa joue, ses lèvres, son cou. Son regard plongé dans le sien – toujours.

« Tu as dit... Amuse moi... alors... »

Un morceau t’a donné du fil à retordre et t’a gardée éveillée toute la nuit. Le lendemain, ta fatigue est telle que lorsque l’on t’envoie chercher un balai pour aider à nettoyer la salle de classe, tu ne rechignes pas. Tu t’exécutes à la manière d’un zombie, sourde et aveugle à tout ce qui t’entoure. A l’approche du placard, les plaintes et soupirs étouffés qui s’élèvent derrière la porte ne t’alertent même pas. Tu l’ouvres ; Et tu vois. La fille a à peine le temps de rajuster son chemisier froissé. Et Woonie… il est à la fois lui-même et un autre. Un sourire de prédateur ourle encore ses lèvres, mais quand il s’aperçoit que c’est elle qui vient de les déranger, lui et cette gourde, il reprend peu à peu cet air plein de sollicitude qu’il lui adresse depuis toujours. C’est déconcertant cette façon qu’il a de changer de visages quand elle apparaît. On dirait qu’il y a les filles, les vraies, et… elle que l’on regarde à peine.

Etendu sur ce bureau, son corps reste figé. Même respirer lui coûte d’incommensurables efforts tant mille et une tensions roidissent tous ses membres. Cette chaleur qui s’empare soudain d’elle la déconcerte. Ces dernières années ne l’ont guère habitué à de telles hausses de température. De coutume, c’est plutôt un froid hivernal qui l’entoure du matin jusqu’au soir. Quand elle se réveille, il n’est pas rare qu’elle s’aperçoive que le chauffage a encore été coupé au cours de la nuit. Alors, grelottante, elle se traîne grelottante dans sa chambre à la recherche de quelques vêtements chauds. Mais tous les pulls qu’elle enfile ne viennent pas à bout de cette chape de glace qui réside en son sein, de ce givre épais et dense qui emprisonne son cœur. Et pourtant, comme Hyun Woo se penche sur elle, comme il se presse contre elle, il lui semble que les neiges fondent peu à peu. Elle frissonne encore, mais ce n’est plus vraiment de froid. A demi consciente, elle sent la main du jeune homme glisser sur son flanc. Mais pour une fois, elle ne s’en offusque pas – même lorsqu’il défait les premiers boutons de sa robe, cela n’éveille en elle pas la moindre révolte. Ses pensées, ou du moins ce qu’il en reste, sont trop accaparées par ailleurs ; son regard se perd dans la muette contemplation de ce cou où elle voit le pouls battre, de ces lèvres charnues au coin desquelles perlent quelques gouttes d’alcool, de ce nez dont la courbure se dessine si nettement. Tout à sa fascination, Na Eun ne parvient pas à retenir le mouvement de ses doigts qui doucement se tendent vers le visage du jeune homme et en retrace avec application les contours.

« Tu penses que je vais me dégonfler, n’est-ce pas ? »

Sans crier gare, une vague de colère et frustration déferle sur elle. Elle soupçonne les paroles hésitantes de Hyun Woo de l’avoir déclenchée. Mais son taux d’alcoolémie émousse sérieusement son sens de la déduction. Tout ce que la demoiselle sait, c’est qu’il se retient encore, que des barrières invisibles, et pourtant présentes l’entravent. C’est injuste. Avec les autres, il ne se montre jamais aussi réservé, aussi précautionneux. Pour qui la prend-il ? Pour une petite fille, pour une poupée de porcelaine fragile que l’on risque sans cesse de briser ? Qu’il faut protéger et ne pas brusquer ? Sans doute. Cela lui apprendra à lui exposer ses failles et ses faiblesses.

« Avec moi, tu fais jamais les choses entièrement. Tu ne montres jamais qu’un seul de tes visages. Tu m’ignores pendant des mois, tu es au sommet de ton succès et tu as peine le temps pour moi. Et quand tu me reviens, tu n’es plus que l’ombre de toi-même, qu’une coquille vide. Tu t’interromps sans cesse, tu n’achèves plus rien. Même là… tu t’approches, mais tu ne m’embrasses pas. Tu plaisantes, mais tu ne joues pas le jeu. » Dans un seul et même élan, Na Eun s’est redressée, son dos revenant à la verticale, ses mais agrippant les épaules de son ami. Les murmures des minutes précédentes ont cédé le pas à un ton décidé. Sa voix résonne désormais dans toute la pièce ; on pourrait les entendre, on pourrait les surprendre. Mais rien au monde n’amoindrirait ce regain d’audace. « Ne me sous-estime pas, Song Hyun Woo. Ce n’est pas parce que tu ne parcours que la moitié du chemin que je n’irai pas jusqu’au bout. Je vaux mieux que ça, je… »

Avant même d’avoir terminé sa phrase, sa bouche heurte avec violence celle du jeune homme. Sa langue force même la barrière de ses lèvres ; leurs dents s’entrechoqueraient presque. Ses mains partent à l’ascension de sa nuque, s’égarent dans ses cheveux de jais. Ses jambes s’entourent autour de son bassin, et la brusquerie de ce baiser trouve écho dans sa cage thoracique. Les battements de son cœur se succèdent à un rythme effréné, ils cognent si fort qu’il lui semble que l’on pourrait presque les entendre dans toute la maisonnée. Quel ne serait alors pas le choc des invités… Cette pensée fugace, loin de la ramener à la réalité, ravive les ardeurs de Na Eun. Elle sent ses muscles se crisper encore davantage sous le coup de l’adrénaline.

« Je peux même pousser plus loin si je veux. »

Face à face, front contre front, la jeune fille a brutalement mis fin au baiser. Elle repousse même son ami afin de retomber debout. Sans plus de cérémonie, elle empoigne sa main à lui et l’entraîne à sa suite. Leurs pas précipités se réverbèrent et résonnent dans toute la cage d’escalier, alertant déjà quelques convives au rez-de-chaussée. Lorsque leur course s’achève à l’orée du salon, tous les regards convergent vers eux et ne s’en détournent plus. L’état de désordre avancé de leurs tenues interpelle et scandalise. Elle avec sa robe à moitié défaite, lui entièrement décoiffé – on ne peut que deviner à quelles activités ils se livraient, là-haut, à l’étage. L’assemblée frémit ; des chuchotis outrés commencent à l’agiter. Quelle petite dévergondée. Le jour où l’on commémore la mort de sa mère. Sous le toit de son père. Une enfant qui était autrefois si sage, si admirable – comment en est-on arrivé là ? Indifférente, Na Eun se tourne vers Hyun Woo.

« Là, on va s’amuser. »

Et elle l’embrasse à nouveau. Avec désespoir et détresse. Les murmures désapprobateurs se changent en clameur outrée. Et au sein de ce vacarme généralisé, sa conscience lui souffle qu’agir ainsi, c’est mal ; que se servir ainsi de lui pour se venger et attirer l’attention, c’est mal. Mais au fur et mesure qu’elle se resserre son étreinte, qu’elle presse avec avidité ses lèvres sur les siennes, le trouble qui s’empare de tout son être lui indique qu’il y a autre chose. Plus profond que le jeu, plus vrai que la provocation. Mais l’émoi qui les entoure de toutes parts l’empêche de creuser plus en avant la question.

« Ahgassi… si votre père… »
« Il n’est pas venu. Et moi… Je ne viendrai plus. »

La grande porte s’ouvre, et Naeun sort sous la pluie battante, ses pieds nus sur la dalle mouillée.